Le théâtre asouvent prit la tour Eiffel comme toile de fond. On la trouve dans bon nombre de décors, mais parfois elle a un rôle plus prépondérant. Les extraits ci-dessous la mettent en avant. Il y a un extrait "d'une visite à l'exposition de 1889", un vaudeville en 3 actes et en 10 tableaux par Henri Rousseau, dit Douanier Rousseau, et un autre extrait des "Mariés de la tour Eiffel", de Jean Cocteau.
"Une visite à l'exposition de 1889" par Henri Rousseau
Il s'agit d'un vaudeville en 3 actes et 10 tableaux dont la scène représente un morceau de l'exposition de 1889, une perspective surle champs de Mars et la tour Eiffel, en fond. Elle met en scène le personnage de Mariette, une personne plutôt frustre qui se rend sur place visiter l'exposition. L'auteur imagine que Mariette n'a jamais entendu parler de la tour Eiffel, ce qui est déjà un effet comique vu qu'elle est depuis déjà un moment très connue. Elle est accompagnée du couple qu'elle appelle "ses patrons", deux autres personnages tout aussi peu informés qu'elle sur ce qu'il y a à voir à l'exposition.
Mariette, apercevant la Tour :
Ah, sainte Vierge Marie, qu' c'est donc beau et qu' c'est donc beau et qué qu' c'est donc que c'te grande échelle là, qu'est ben pus haute que le clocher de l'église de cheux nous. Ah, par exemple c'est ben drôle, mais comment donc qu' l'on fait pour y monter, les barreaux ne sont point ronds, et pis y sont tous de travers. Tiens, mais j'voyons du monde tout de même qui y monte et qui sont tous dans le haut et qui ma fé sont gros comme des pucerons ; par où donc qu'c'est qui sont rentrés. Ah, les inventeux d'une chose pareille ont eu une ben drôle d'idée pour c' que c'est biau :moi j'aurais voulu faire une chose ben plus belle que ça. Dites donc. M. Lebozeck, expliquez mé donc ça, qu' j' n'y comprenons pas ben ; comment qu' c'est qu' l'on peut monter jusqu'en haut ousque l'on voit un grand drapeau et de fait si vous vouliez l'on pourrait ben y aller voir aussi, comm' ça j' saurions ben c' qu'il y a de si curieux dans c'te grande échelle là, j' sommes ben en train et voudrions nous instruire.
Mr Lebozec :
Mon Benjamin, Mariette a raison c'te tour Eiffel est ben curieuse à visiter, nous pourrions ben faire comm' les autres y aller vouairre, et pis ça doit être ben drôle jusqu'en haut, on doit bien y avoir beaucoup d'air, mais dam ça n' sera pas un air de moustique. Donc, si tu l'veux ben approchons-nous d'ce côté, nous allons ben voir comment qu'y faut faire pour grimper là-haut. Allons-y, tu veux ben n'est-ce pas, tu n'refuseras pas ça à ta p'tite femme ?
Mr Lebozec, apercevant le gardien :
Dites donc, mon bon Monsieur, j'avons quequ'chose à vous d'mander. Pourriez-vous me dire comment qu' c'est qu'y faut s'y prendre pour monter jusqu'au haut de c'te grande échelle ?
Le gardien, un peu froissé :
Comment cette grande échelle dites-vous ? Sachez, Monsieur, que c'est la tour Eiffel, la plus haute du monde entier, car rappelez-vous qu'elle a trois cents mètres. D'où venez-vous donc; vous n'en avez jamais entendu parler ?
Mr Lebozec :
Vous appelez ça une tour; il m'a toujours semblé qu'une tour était ronde et non faite comme une échelle remplie de barreaux. Mais c'est pas ça qu' j'vous demandons :nous voudrions ben y monter à c'te tour pisque c'est un' tour et jusqu'en haut, tout en haut, par où qu'il faut y aller ?
Le gardien, en lui désignant le côté pour entrer :
Tiens, vous n'avez qu'à vous diriger droit devant vous vers le bureau, vous verrez le prix que vous aurez à payer et vous y monterez soit par l'escalier soit par l'ascenseur – c'est le même prix.
Mme Lebozec :
Eh ben, mon ami, allons-y, ça n'nous coûtera pas cent francs, n'aie point peur et surtout ne te contrarie pas pour garder tout le charme de cette promenade. Que veux-tu,c'est pas tous les jours qu'on vient à Paris et, dame, pisque nous venons pour vouairre toutes ces belles choses de l'Exposition, il faut point trop y regarder, mon cher Benjamin. Allons, décidons-nous, le temps passe vite, profitons des instants.
Mr Lebozec :
Eh ben, femme, c'est ben, nous allons aller monter à c'tefameuse tour Eiffel, nous voilà au bureau tout d'suite et j'voyons d'ici qu' c'est cinq francs pour monter jusqu'en haut, qu'en penses-tu ? Nous y allons n'est-ce pas, c'est entendu et convenu.
Mme Lebozec :
Entendu, accepté.
Mariette :
Ah, que j'sis donc contente, j'vous remercions ben, mes bons patrons, j'vous en serons toujours gré.
"Les mariés de la tour Eiffel", par Jean cocteau
Il s'agit d'un ballet issu d'un livret de Jean Cocteau qui date de 1921. Les décors sont étudiés de façon à avoir une circulation des personnages plutôt insolite. Elle a été donné la première fois le 18 juin 1921 au théâtre des Champs-Elysées par la compagnie des ballets suédois de Rolf de Maré. Cette pièce a été également édité aux éditions Gallimards.
Le décor est surprenant. Il représente le premier étage de la tour Eiffel. La toile de fond est une vue de Paris, telle que la ville est vue de la tour. Au second plan, à droite, il y a un appareil photographique de grande taille. A l'époque les appareils photos étaient essentiellement des boîtes noires dotées d'un objectif, le décor est donc une chambre noire, longue, dont l'un des bouts rejoints les coulisses et dont l'autre est doté d'une porte permettant le passage des personnages. De chaque côté de la scène il y a deux acteurs déquisés en phonographe (Oui !). Lorsqu'ils parlent, ils émettent des sons rapides, forts, et articulent excessivement. Leurs rôles est de commenter et de réciter le rôle des personnages.
Les mariés de la tour Eiffel
Chaque scène est décrite par les phonographes, puis elles sont jouées. Initialement le décor est vide, le rideau s'ouvre.
Phono un. Vous êtes sur la première plate-forme de la Tour Eiffel.
Phono deux. Tiens ! Une autruche. Elle traverse la scène. Elle sort. Voici le chasseur. Il cherche l'autruche. Il lève la tête. Il voit quelque chose. Il épaule. Il tire.
Phono un. Ciel ! une dépêche. (Une grande dépêche bleue tombe des frises.)
Phono deux. La détonation réveille le directeur de la Tour Eiffel. Il apparaît.
Phono un. Ah ! Ça, monsieur, vous vous croyez donc à la chasse?
Phono deux. Je poursuivais une autruche. J'ai cru la voir prise dans les mailles de la Tour Eiffel.
Phono un. Et vous me tuez une dépêche.
Phono deux. Je ne l'ai pas fait exprès.
Phono un. Fin du dialogue.
Phono deux. Voici le photographe de la Tour Eiffel. Il parle. Que dit-il ?
Phono un. Vous n'auriez pas vu passer une autruche ?
Phono deux. Si ! Si ! je la cherche.
Phono un. Figurez-vous que mon appareil de photographie est détraqué. D'habitude, quand je dis : « Ne bougeons plus, un oiseau va sortir », c'est un petit oiseau qui sort. Ce matin, je dis à une dame : « Un petit oiseau va sortir » et il sort une autruche. Je cherche l'autruche, pour la faire entrer dans l'appareil.
Phono deux. Mesdames, messieurs, la scène se corse, car le directeur de la Tour Eiffel s'aperçoit soudain que la dépêche portait son adresse.
Phono un. Il l'ouvre.
Phono deux. « Directeur Tour Eiffel. Viendrons noce déjeuner, prière retenir table. »
Phono un. Mais cette dépêche est morte.
Phono deux. C'est justement parce qu'elle est morte que tout le monde la comprend.
Phono un. Vite ! Vite ! Nous avons juste le temps de servir la table. Je vous supprime votre amende. Je vous nomme garçon de café de la Tour Eiffel. Photographe, à votre poste !
Phono deux. Ils mettent la nappe.
Phono un. Marche nuptiale.
Phono deux. Le cortège. Marche nuptiale. Les phonos annoncent les personnages de la noce qui entrent par couples en marchant comme les chiens dans les pièces de chiens.
Phono un. La mariée, douce comme un agneau.
Phono deux. Le beau-père, riche comme Crésus.
Phono un. Le marié, joli comme un coeur.
Phono deux. La belle-mère, fausse comme un jeton.
Phono un. Le général, bête comme une oie.
Phono deux. Regardez-le. Il se croit sur sa jument Mirabelle.
Phono un. Les garçons d'honneur, forts comme des Turcs.
Phono deux. Les demoiselles d'honneur, fraîches comme des roses.
Phono un. Le directeur de la Tour Eiffel leur fait les honneurs de la Tour Eiffel. Il leur montre Paris à vol d'oiseau.
Phono deux. J'ai le vertige !
Les mariés de la tour Eiffel
Il faut savoir que ce ballet a connu brièvement le succès, il a été joué en 1923 à New York. Puis, une fois tombé dans l'oubli, il refit surface en 1988 dans une nouvelle scénographie.
J'ai beau savoir que ce ballet a pour origine Jean Cocteau, j'ai un peu de mal à l'interpréter. Il doit y avoir des éléments absurdes inhérentes à l'époque qui m'empèchent de comprendre le message de l'auteur. Il faut dire que le scénario est parfaitement absurde, c'est d'ailleurs tout à fait assumé : Un couple de jeunes mariés prend son petit déjeuner sur l’une des plateformes de la Tour Eiffel, mais alors qu'un des invité de la noce fait un discours et que le photographe invite l’assemblée à se concentrer sur son appareil, un lion entre et dévore un des invités pour son petit déjeuner. Puis un étrange personnage nommé « un enfant du futur » surgit et tue tout le monde. Le ballet se termine par la fin du mariage. Les connaisseurs y voient une farce sur les stéréotypes de l'époque (la famille, la bourgeoisie, l'armée et même la très admirée tour Eiffel).
Voir aussi :