Comme vous vous en doutez la tour Eiffel a besoin de beaucoup d'énergie pour fonctionner. Il en faut pour l'éclairage, mais surtout pour faire fonctionner les 5 ascenseurs et le monte-charge, qui tournent quasiment en continu de 9h du matin à 1h du matin. Les machines ont été mises en place à la construction de la tour, quelques mois après son inauguration et quelques jours seulement après l'ouverture de la tour au public, le jour inaugural de l'exposition universelle, du moins pour les premières machines. Ces appareils complexes étaient d'une grande puissance, mais surtout ils avaient une capacité rare de nos jours : Elles étaient prévues pour fonctionner longtemps. Tellement longtemps qu'elles sont toujours en production de nos jours... Et oui, les machines faisant fonctionner les ascenseurs sont toujours les mêmes depuis près de 130 ans ! Alors bien sûr, l'énergie n'est plus la même, les machines sont pilotées par des microprocesseurs, etc., mais les parties mécaniques sont bien les mêmes qu'à l'époque.
Ces machines ont toutes été mises en place au même endroit, dans les sous-sols de la pile N°3, celle au Sud. Elle avait été prévu pour ça dès la construction, il s'agissait d'une salle des machines. A l'époque de la construction elle ne contenait pas seulement les moteurs de traction des cables des ascenseurs, mais aussi des réservoirs d'eau, les machines fonctionnant à l'énergie hydraulique, des pompes, des chaudières, des machines à vapeurs et des dynamos. Les plans techniques de la tour Eiffel prévoyaient en détail leurs emplacements et leurs descriptions, tout est indiqué sur les planches XX et planches XXI.
Le principe mécanique est assez simple à comprendre. Une machine hydraulique propulse un piston d'avant en arrière, entrainant avec lui un chariot sur rail qui entraine lui-même un jeu de poulies qui tirent la cabine de l'ascenseur. Voyons à présent le détail des installations de la machinerie de la tour Eiffel à l'époque de sa construction, puis les modifications qui y ont été apportées de nos jours.
Sur cette page :
Les modifications faites depuis
Description de la machinerie de la tour Eiffel en 1889
Quantité d'eau à fournir aux ascenseurs du 1er et du 2e étage
Les ascenseurs Roux, Combaluzier et Lepape, ainsi que les ascenseurs Otis, étaient desservis par deux réservoirs cylindriques de 3 m de diamètre et 7 m de longueur installés au 2e étage de la Tour et dont la capacité est de 46,330 m3, soit, pour les deux, 92,678 m3. Ces réservoirs étaient reliés entre eux par un tuyau en tôle de 0,50 m de diamètre, duquel partaient les 4 conduites aboutissant à chacun des cylindres de ces ascenseurs.
Les ascenseurs Roux, Combaluzier et Lepape dépensaient 8,746 m3 d'eau sous pression par ascension; comme chacun pouvait exécuter 10 voyages à l'heure, il fallait que les pompes fournissent pour ces ascenseurs 2 x 8,746 = 17,492 m3 en 6 minutes, soit 2,915 m3 par minute. Un ascenseur Otis dépensait 7,92 m3 par ascension, et comme chacun des deux pouvait exécuter 9 ascensions par heure (sans arrêt au 1e étage), il fallait que les pompes fournissent, pour ces ascenseurs, 2 x 7,92 = 15,84 m3 en 6 minutes 40 secondes, soit 15,84 x 60 / 400 = 2,38 m3 à la minute.
Les pompes dénommées pompes Quillacq, qui alimentent les deux réservoirs du 2e étage, doivent donc fournir à a minute 2,91 + 2,38 = 5,29 m3.
Pompe Quillacq
Ces machines et pompes ont été étudiées par M. Meunier, ingénieur civil, et construites par la Société anonyme d'Anzin, représentée par M. A. de Quillacq. Elles sont au nombre de deux et composées comme suit :
Les machines à vapeur sont du type Weelhoek, avec pompes Girard en prolongement de la tige du piston moteur; elles sont à double effet et à pistons plongeurs. Chaque pompe élevait un volume de 50 litres à la vitesse de 22 tours et demi par minute et 80 litres à la vitesse de 36 tours. La hauteur d'élévation est de 120m. Les machines sont à condensation par mélange. D'après le marché, l'introduction de vapeur se fait normalement pendant 1/7 de la course sous une pression initiale de 6,3 kg, soit 7 kg aux générateurs. Dans ces conditions, la consommation ne doit pas dépasser 11,6 kg de vapeur sèche par cheval-heure, mesurée en eau montée. Le bâti à baïonnette porte le cylindre de 650 mm de diamètre, et 1,066 m de course avec piston, tige, enveloppe de vapeur, organes de distribution et de détente, enveloppe en bois à l'extérieur du cylindre.
Le régulateur à force centrifuge agit directement sur la détente, et le volant assure une régularité de marche suffisante à la vitesse maxima de 22 tours et demi. La pompe à air est commandée par une manivelle disposée à l'extrémité de l'arbre, du côté du volant; le diamètre de la pompe à air est de 350 mm et la course de 400 mm; elle est munie de clapets en caoutchouc et d'un indicateur de vide. La bâche à eau chaude est fermée; elle est surmontée d'un tuyau permettant de surélever l'eau à 1,50 m au-dessus de l'axe de la pompe à air. La pompe alimentaire, de 90 mm de diamètre et de 250 mm de course, fait corps avec la pompe à air.
La machine actionne directement, par la tige prolongée de son piston à vapeur, une pompe horizontale à double effet et à piston plongeur, système Girard. Le diamètre du plongeur est de 290 mm et sa course de 1,066 m. La pompe débite donc par tour : 2 x 1,066 < 0.292 / 4 = 0,140, soit 140 litres. Or, nous avons vu que les ascenseurs exigeaient 5,29 m3 par minute. Une seule pompe suffirait donc, à la rigueur, en marchant à 36 tours, puisqu'elle donnerait 140 x 36 — 5 040 litres. Quand elles marchent toutes les deux à la vitesse de 22 tours et demi, elles donnent 2 x 140 x 22,5 = 6,300 litres. Le service est donc largement assuré, puisqu'avec une seule pompe on peut à peu près suffire aux besoins maxima.
Cette pompe se compose de son piston en fonte avec sa tige en acier, de deux corps de pompe en fonte à larges patins assemblés solidement entre eux. Les quatre boîtes à clapets sont en fonte; les clapets sont garnis de laiton et de cuir et sont munis de ressorts en acier. Les deux tuyaux d'aspiration sont verticaux ; la culotte de refoulement est en fonte, et le réservoir d'air, de 1 m3 de capacité, est en tôle d'acier et monté directement sur la pompe; il est muni d'une tubulure de sortie d'eau de 250 mm de diamètre, d'un manomètre métallique, d'un tube de niveau d'eau avec ses robinets, de deux robinets de remplissage et d'amorçage de corps de pompe et de deux robinets de purge d'air.
Les procès-verbaux d'essai ont montré que les pompes pouvaient régulièrement fonctionner de 25,3 tours â 36,36 tours à la minute, avec une élévation de 124 m; que leur rendement variait de 0,92 à 0,95, et que la dépense de vapeur sèche par cheval-heure mesurée en eau montée était de 11 kg, chiffre inférieur à celui du marché, qui stipulait 11,60 kg comme limite maxima. L'eau d'échappement des cylindres des 4 ascenseurs se rend, par des conduites souterraines, à un réservoir où les pompes la puisent pour la refouler à nouveau dans les réservoirs du 2e étage. Ce réservoir, établi dans l'angle Est du sous-sol de la pile 3, a une profondeur de 2 m; il est recouvert par un plancher en fer constitué par une tôle striée placée sur ses solives.
Chacune de ces machines a une force de 111 chevaux à la vitesse moyenne de 31,6 tours, donnant un débit réel par seconde de 67,56 litres ou par minute de 4.054 litres d'eau, montée à la hauteur de 124 m. Ces deux machines ont été payées 60 000 francs, soit 30 000 francs chacune, rendues à pied-d'œuvre; dans ce prix n'est pas comprise la tuyauterie, non plus que les frais de montage, effectué les équipes de monteurs sous la surveillance d'un chef monteur de la maison Quillacq.
Pompes Worthington
L'ascenseur Edoux, qui montait les visiteurs du 2e au 3e étage, et ça jusqu'en 1983, était desservi par un réservoir de 3 m de diamètre et de 4 m de hauteur installé à la troisième plate-forme, et dont le cube est de 28 m. Ce réservoir est alimenté par deux pompes Worthington, comprenant chacune deux cylindres à double effet, qui prennaient l'eau du réservoir de décharge installé sur la plate-forme intermédiaire, de sorte qu'en somme elles n'ont à la refouler qu'à une hauteur de 80 m. Ces pompes étaient actionnées directement par des machines compound avec cylindres en tandem. Leur diamètre est de 0,195 m et leur course de 0,340 m. Le volume d'une cylindrée est de 10,166 litres pour une surface de piston égale à 299 cm2; quand les deux pompes marchent simultanément, le nombre des cylindrées par tour est de 8, et le volume est de 81 litres environ. En bonne marche normale, le nombre des tours est de 30 par minute. Le cube d'eau par minute est de 2.430 litres, soit en quantité effective, et pour un rendement de 90 p. 100, 2 200 litres environ par minute. Or, l'ascenseur Edoux, dont le piston plongeur a 0,32 m de diamètre et 80,20 m de course, dépense par voyage 0,0804 x 2 x 80,20 = 12.896 litres; les pompes marchant pendant 6 minutes fournissent donc la quantité d'eau nécessaire pour un voyage. Elles permettent donc de faire 10 voyages à l'heure, ainsi que nous nous en sommes assurés par des expériences directes. Ce rendement est au-dessus des besoins pratiques; par suite de circonstances indiquées plus haut, on n'en peut effectuer que 7. On peut même, en faisant marcher une seule pompe, exceptionnellement à 35 tours, faire fonctionner l'ascenseur pour ce nombre de voyages. Le service de ces pompes, qui ont toujours parfaitement fonctionné sans aucun arrêt, assure donc très largement celui de l'ascenseur.
Nous avons relevé, pour la vitesse de 30 tours, les pressions manométriques, sur le tuyau de refoulement et sur celui de l'aspiration, pour en déduire les pertes de charge dues au mouvement de l'eau dans ces tuyaux. Le manomètre placé près des pompes, sur le tuyau de refoulement, a accusé une pression de 285 m d'eau. Or, la cote de ce manomètre était 30,50 + 2,00 = 32,50. La cote moyenne du niveau de l'eau dans le réservoir supérieur est de 307,50 m. Elle excède donc celle du manomètre de 307,50 — 32,50 = 275 m. La perte de charge dans le tuyau de refoulement est donc de 285 — 275 = 10,00 m. Le manomètre du tuyau d'aspiration, situé à la même cote que celui du refoulement, a donné une pression en mètres d'eau de 190 m. Or, la cote du niveau de l'eau dans le réservoir intermédiaire est de 229,83 m. La différence avec celle du manomètre est donc 229,83 — 32,50 = 197,33 m. Et la perte de charge pour l'aspiration est par suite de 197,33 — 190 = 7,33 m. Ces deux pertes de charge, soit de 10 m pour le refoulement et de 7,33 pour l'aspiration, augmentent d'autant la fatigue des pompes, mais elles restent dans des limites très acceptables.
Ces pompes coûtaient à l'époque aux alentours de 30 000 francs, mais le prix exact est inconnu car il était inclu dans le forfait global d'installation de l'ascenseur Edoux.
Machines diverses
La salle des machines renferme encore les dynamos et leurs moteurs qui sont décrits sur la page consacrée à l'éclairage électrique, ainsi que la pompe Worthington, d'une force de deux chevaux, puisant, dans un réservoir spécial branché sur un compteur de la ville, l'eau de source indispensable aux restaurants et aux bars du 1er étage et l'élevant dans les réservoirs de cet étage.
Générateurs Collet-Niclausse
La vapeur nécessaire à ces différentes machines était fournie par une batterie de 4 chaudières multi-tubulaires à vaporisation rapide, du système Collet-Niclausse. Ces chaudières avaient chacune une surface de chauffe de 80 m2 et une surface de grille de 3 m2 Elles étaient timbrées à 12 kg et développaient par heure, en marche normale, 1 500 kg de vapeur sèche à la pression maxima, soit 6 000 kg pour les quatre. La consommation de charbon garantie, sur la grille, est de 1 kg pour 8,5 kg de vapeur sèche produite à la pression de 12 kg. Trois de ces chaudières, qui représentent 150 chevaux-vapeur chacune, suffisent en marche normale, la quatrième faisant réserve.
Chaque générateur se compose de 98 tubes vaporisateurs de 100 mm de diamètre et 2,250 m de longueur, et de 10 tubes sécheurs de 128 mm de diamètre et 1,50 m de longueur. A l'intérieur de chaque tube vaporisateur était placé un tube directeur de 60 mm de diamètre, et un tirant en fer de 20 mm maintenant des bouchons de nettoyage aux deux extrémités des tubes. Le faisceau tubulaire débouchait à l'avant dans 7 collecteurs verticaux, munis de leurs cloisons séparatives. Ces collecteurs étaient fixés, au moyen de joints coniques, sur le réservoir supérieur de 900 mm de diamètre et de 2 m de longueur, lequel est muni d'un niveau d'eau, d'un clapet de retenue d'alimentation, d'une soupape de sûreté, d'un manomètre et des robinets de jauge.
Les générateurs étaient établis par groupe de deux avec leur maçonnerie enveloppe et les carneaux à l'arrière, jusqu'au nu intérieur du mur actuel qui limite la chambre destinée à la machinerie ; une porte en tôle ferme l'espace entre les deux groupes de générateurs, sur l'avant des deux portes de visite du carneau d'arrière. Ces chaudières étaient alimentées par des pompes alimentaires (système Worthington), l'une faisant rechange de l'autre.
Leur prix total était de 52 000 francs, complètement installées, y compris le massif en béton qui les supporte.
Conduite de fumée et cheminée
Ces chaudières, accolées ainsi deux par deux sur la face côté Seine, réunissent leurs fumées dans un carneau collecteur voûté de 116,23 m de longueur placé dans le sol (planche III, figure 2), ayant 1,30 m de largeur et 1,70 m de hauteur à la clef. Ces dimensions correspondent à une section de 2,02 m2, égale environ au quart de la surface de grille de trois des chaudières marchant simultanément. Cette conduite est munie de deux regards pour la visite et l'entretien. L'un est placé près des chaudières, et l'autre vers le milieu du parcours. Le carneau vient déboucher dans une cheminée en brique, dissimulée à droite de la pile 4 (Ouest) (Planche IV, fig. 15 à 22).
Primitivement, cette cheminée mesurait 17,23 m au-dessus de ses fondations, ce qui correspondait à une hauteur de tirage, entre les chaudières et la sortie de la cheminée, de 15,54 m. Comme cette hauteur était un peu faible, malgré le grand diamètre de sortie qui est de 1,69 m, on avait installé un ventilateur actionné par un moteur à gaz, et refoulant de l'air dans la conduite pour activer le tirage. Ce ventilateur a été supprimé dès les années 1900, et la cheminée a été exhaussée de 1,50 m à cette même époque, ce qui donne une hauteur de tirage de 17,04 m. Cette hauteur est suffisante, et la cheminée a un bon tirage. Il faut remarquer, du reste, que sa section de sortie, soit 2,01 m2 correspond aussi, à peu près, au 1/4 de la surface des trois grilles, qui est de 9 m2. La cheminée actuelle repose sur un massif de béton de 0,80 m d'épaisseur. Elle est construite en trois tronçons d'épaisseurs différentes, et qui ont comme hauteur, en partant de la base, 5,00 m, 6,13 m et 7,60 m. L'épaisseur de la cheminée à la sortie est de 0,35 m, à la base elle est de 0,70 m.
Le prix de la cheminée est de 3 500 francs, et celui du carneau de 13 500 francs.
Soute à charbon
La soute à charbon (planche XXI) est placée dans l'angle Ouest du sous-sol ; on la remplit par une porte placée sur le côté Grenelle; une voie Decauville permet ensuite d'amener le combustible dans la chambre de chauffe.
Alimentation d'eau
La vapeur provenant des machines était envoyée dans des condenseurs à mélange alimentés par de l'eau de l'Ourcq ou de l'eau de Seine prises au compteur; le
refoulement avait lieu dans un réservoir placé à proximité des chaudières; une partie de cette eau, dont la température est d'environ 42°, servait à l'alimentation
des chaudières au moyen de deux petits chevaux Worthington. L'excédent était évacué à l'égout. La conduite de vapeur qui alimentait les différentes machines était
continue et faisait le tour du sous-sol; sur elle se branchaient les différentes prises de vapeur
(planche XXI).
Modifications faites à la machinerie depuis 1889
Bien sûr la machinerie actuelle de la tour Eiffel a été modifié, même si elle reste en service, il a bien fallut d'une part moderniser la mécanique, qui accuse son âge, et d'autre part assurer le bon fonctionnement permanent. Il a donc fallut faire des modifications à ces machines, qui, rappellons-le, étaient dans le soubassement de la pile N°3, celle côté Sud.
Les premières modifications eurent lieu en 1900, avec l'amélioration de la cheminée d'évacuation des fumées, qui avaient été sous-dimensionnée. Pour pallier au problème les ingénieurs avaient ajouté un petit moteur fonctionnant au gaz qui avait pour charge d'évacuer les fumées, mais il fut arrêté, remplacé par une cheminée d'une taille adéquate.
Le système fonctionnant alors pendant tout le XXe siècle, exactement jusqu'en 1986, année durant laquel le système d'eau sous pression a été abandonné pour une pompe hydraulique à huile, classique. sur les 3 réservoirs, seuls un a servi encore, les autres ne faisant plus qu'office de contrepoids.
La dernière modification en date est probablement la plus importante. Commencée en 2008 et achevée en 2012, la machinerie de l'ascenseur Ouest a été complètement refaite, plus que d'une rénovation, c'est une véritable restauration qui a été faite. Elle est suivi de l'ascenseur Est. Les travaux portaient sur les cabines, mais surtout sur la machinerie, avec le remplacement du chariot qui porte la cabine, du rail du chariot, du système hydraulique et du système de contrôle des moteurs. Ces commandes sont complètement informatisées de nos jours, ce sont des microprocesseurs qui dirigent les élévations des cabines, mais par contre, on est toujours sur un système hydraulique, c'est à dire que c'est toujours l'eau qui est transformé en vapeur, ce qui propulse un piston d'avant en arrière, entrainant un chariot qui tire les cables d'élévation. On aurait pu croire que le système avait été remplacé par des moteurs électriques, mais il n'en est rien.
Voir aussi :