Mise en contact avec l'Occident par l'expédition de Bonaparte à partir de 1798, l'Egypte se trouve brutalement confrontée avec la philosophie et la littérature européennes. La remise en cause intellectuelle ouvre une période de renaissance littéraire, la Nahda, qui place l'Egypte en position prééminente dans le monde intellectuel arabe dès le début du XIXe siècle. Il faudra cependant attendre l'aube du XXe siècle pour voir éclore une vraie littérature égyptienne. La gestation passe par une simplification de la langue, le développement d'une critique littéraire spécifique et une véritable prolifération d'essais.
Le roman
Le premier roman égyptien, à thème social, Zaynab, ne fut pas écrit en Egypte, mais à Paris, en 1914. Son auteur, Muhammad Haykâl, restait dans la plus pure lignée des récits larmoyants de la tradition populaire égyptienne. Zaynab racontait les malheurs d'une ouvrière agricole, prototype de la femme égyptienne et qui meurt «poitrinaire» comme l’héroine de la Dame aux camélias. Certains écrivains, Zaydân, Muhammâd Farîd Abû-Hadld, 'Ali al-Djarïm, Muhammâd al-'Uriyân, se consacrèrent alors au roman historique, plus par attachement au goût occidental que par véritable inspiration. D'autres, Taha Husayn, Muhammâd et Mahmûd Taymûr, Tawfîq al-Hakïm, s'essayèrent au roman psychologique. Mais l'inspiration venait toujours de l'Europe.
Jusqu'à ce qu'une génération incarnée par Mahfûz, al-Sibà'ï, Yûsuf Idrîs, fasse du roman un art typiquement égyptien. Tawfïq al-Hakïm apparaît comme le chef de file de cette génération avec son ouvrage le journal d’un substitut de campagne. Dans cette œuvre autobiographique, cet ancien magistrat du parquet dénonce l'absurdité des rapports administratifs égyptiens. Ce livre connut un succès considérable dès sa parution. Par la suite, Tawfîq al-Hakîm confirmait son talent avec l'Ame retrouvée qui racontait le soulèvement populaire de 1919, puis la Fleur de la vie, que lui inspirèrent les souvenirs mitigés de ses études à Paris.
Avec Taha Husayn, aveugle de naissance et futur ministre, le roman égyptien prend une tournure plus révoltée. Son Appel de Kairouan s'analyse comme un refus de la soumission et exprime l'espoir en un monde meilleur.
Avec al-Charqâwî, la nouvelle génération critique la bourgeoisie issue de la révolution. Pour la première fois, dans un roman égyptien, la Vie des ténèbres, de Muhammâd Kâmil, apparaît le mot mutammarid, le révolté. La recherche littéraire explore de nouvelles voies narratives, analyse l'imaginaire, le rêve et l'inconscient avec al-Chârûni, Kharrât, al-Ghitànï; Ahmad Hachîm al-Charîf.
Le chef de file de cette nouvelle vague littéraire est, sans conteste, Naguib Mahfûz qui publie son premier ouvrage, un recueil de contes, à vingt-sept ans. Sa verve dénonce le gâchis des classes moyennes et l'effroyable misère du peuple. L'injustice sociale continue de l'inspirer dans le Nouveau Caire, Khân at-Khaltlt. En 1949, dans Début et Fin, il annonce la montée d'une jeunesse politisée qui refuse la décadence et l'occupation étrangère.
La littérature égyptienne des années 50 tente de dépasser le naturalisme de Mahfû, tantôt pour exprimer un désespoir à la Camus, tantôt pour rejoindre un réalisme dialectique. Dans le droit fil de la Peste, 'Adil Kamil publie Mitlim le Grand. C'est l'époque où le symbolisme permet seul d échapper à la censure. Puis, avec Idrîs, Faraaj, Nù'màn'Achûret al-Charqâwï, la langue et le style se font plus agressifs. La prise de conscience nationale et politique se précise avec la guerre des six jours et s'exacerbe jusqu'au lendemain de la guerre d'octobre (1973). Mahfûz exprime bien ce double choc dans l'Homme ayant perdu sa mémoire deux fois.
Depuis, la tendance est revenue au réalisme. Priorité a été donnée aux traditions populaires, aux préoccupations du quotidien. Le roman gagne en psychologie ce qu'il perd en violence. À cette phase de l'histoire littéraire égyptienne se rattachent les Miroirs que Mafnùz publie en 1973.
À une période plus récente, de jeunes auteurs se sont révélés. Leurs voix s'élèvent contre la société, contre les institutions, contre la police politique. Parmi cette génération très politisée se dégage Charif Hitata avec sa trilogie : l'Œil à la paupière de fer, Deux Ailes au vent et la Défaite.
Si les misères et les espoirs du peuple constituent toujours la trame de la littérature romanesque en Egypte, le roman évolue peu à peu vers un engagement politique. Il continue aussi de répandre cette note d'espoir, cette pointe d'humour dans le malheur qui jaillit de l'âme même de l'Egypte.
La Poésie
Au pays des conteurs et d'une très ancienne culture, la poésie repose sur de nombreuses tendances.
Trois écoles regroupent la poésie égyptienne moderne : Les néo-classiques, al-Bârûdî, Chawqï, Hâfiz Ibrahim, maintiennent jusqu'au milieu du XXe siècle la tradition poétique et amorcent avec Mutrân une sorte de renouveau romantique. Le groupe Apollo, créé en 1932 par Abu Châaî et 'Alï Mahmûd Taha, se situe à mi-chemin entre le romantisme et le symbolisme. Enfin, la tendance intimiste et pessimiste d'un 'Abd al-Rahmân Chukri — dans la Lumière de l'aube, par exemple — annonce un romantisme fortement influencé par l'Occident. Ce courant se poursuit d ailleurs avec de nombreux disciples, notamment al-Mâzinï et al-Aqqâd.
L'engagement politique et le renouveau littéraire qui correspondent à la révolution de 1952 influencent la forme poétique. On voit naître le poème en prose avec les œuvres de Tawfîq al-Bakri et de la poésie libre, à l'instar des poètes syro-libanais de al-Mahdjâr.
La révolution de juillet 1952 voit éclore un autre courant poétique résolument moderne. Non contents d'aborder des thèmes nouveaux, 'Abd al-Sabûr et Hidjâzï recherchent une forme d'expression plus spontanée. Ils rompent avec la rhétorique et se détournent de la rime classique, 1967, Tannée de la guerre des six jours, voit apparaître ce que l'on a appelé la «génération du refus». Désormais les poètes se révoltent contre le fatalisme et la résignation. Cette prise de conscience se précise avec Ibrahim Aslân, Yahyâ 'Abdallah, Djamâl Ghïtânï et 'Abd al-Halïm Qâsim. Elle reste d'actualité avec trois représentants de la nouvelle génération intimiste et symboliste: Matar, Qui allie l'écriture dépouillée à l'intensité dramatique; Dunqûl, poète du refus et de la rupture; et Abu Sanâ qui, d'abord romantique, a évolué vers le didactisme et rêve d'un monde où la liberté serait synonyme d'amour.