Lorsque la statue de la Liberté fut imaginée, tout au début du projet, nous étions en 1865. Edouard de Laboulaye, un républicain américanophile et professeur de droit - c'est lui qui proposa sa construction - supposa que 11 ans étaient suffisant pour sa construction, et qu'elle pourrait être inauguré le jour du centenaire de l'indépendance américaine, le 4 juillet 1876. Ce planning optimiste ne fut pas tenu, et entre les retards de construction, les manques de moyens pour financer les ouvriers et le matériel, et les errements politiques dans les deux pays, le sculpteur Auguste Bartholdi ne put faire mieux de 21 ans pour tout boucler. Si ce retard parait important, il est à mettre en regard d'autres projets similaires, qui mirent tous entre 30 et 60 ans à être réalisés. Parvenir à construire une telle statue aux Etats-Unis, partant de France, tout ça en 20 ans était donc déjà un exploit. Mais malgré tout, le centenaire passa sans que l'on voie l'inauguration de cette statue.
Le socle terminé, les officiels américains purent avancer une date définitive. Le 4 juillet 1886 aurait été parfait, pile 110 ans après l'indépendance, mais malheureusement le socle eu du retard il cette date était impossible à tenir. Il fut choisi le 28 octobre 1886
Le déroulement de la journée
Inauguration de la statue de la Liberté
Nous sommes le 28 octobre 1886. C'est un jour triste, fortement nuageux, partiellement venteux, avec un plafond bas. En clair, il ne fait pas beau. La statue se dresse sur son socle, une immense toile tricolore masque son visage. Les officiels sont encore à terre, à Madison Garden. Le président de la cérémonie est le président américain, Cleveland. Sa présence n'était pas évidente car quelques mois plus tôt il avait mis son véto à un financement public du socle, considérant que le peuple américain n'avait pas à payer pour un don français (officiellement), mais espérant par ce geste mettre dans l'embarras ses adversaires politiques, proches de l'association ayant pour but de construire la statue (officieusement). Cleveland n'avait donc pas prévu de venir inaugurer la statue, mais finalement il s'y résolu, comprenant que ce geste aurait un retentissement bien plus grand que ce qu'il croyait initialement. Et c'est grace à sa présence que la statue a obtenu un rayonnement national, car jusqu'à présent ce projet n'était considéré par les américains que local : New-York érigeait une statue offerte par les Français, il n'y avait pour eux pas de rapport entre la statue et les Etats-Unis. La présence du président balaya cette sensation et c'est ainsi que commença le destin national, puis international de Miss Liberty.
La baie de New-York était couverte de bateaux, la plupart à vapeur; une fumée épaisse de déployait dans le ciel. New-York avait décidé que ce jour serait férié pour permettre à la population de participer. Cet appel fut entendu, près d'un million de personnes ont participé à la cérémonie. La journée commença par des parades, des défilés des corps de métier de la ville. La population agitait à tour de bras des drapeaux américains et français, tous étaient dans une grande joie. A Madison Garden les défilés étaient passés en revue. Une fois la parade terminée, le président Cleveland et les officiels montèrent à bord de l'USS Despatch, le navire officiel du président, qui prit immédiatement la direction de Bedloe's island. Avec lui se trouvait les français Auguste Bartholdi, le sculpteur, et Ferdinand de Lesseps, constructeur du canal de Panama. Il y avait aussi Chauncey M. Lepew, le président de l'Union League Club, l'association qui rendit les choses possibles et qui était en contact constant avec l'association des amis des Etats-Unis, présidée par Edouard de Laboulaye. Les discours se succédèrent, et à un moment décidé plus tôt, Bartholdi quitta ses compagnons et grimpa jusqu'au bras de la statue pour lever le voile, ce qu'il fit un peu trop tôt, le président étant encore en plein discours. La surprise fut grande pour les chanceux qui vécurent ce moment et l'on raconte que les vivats durèrent un bon quart d'heure avant que le président ne puisse reprendre la parole.
Billet pour l'inauguration de la statue de la Liberté
Une tribune revendicative
Dans la joie de la découverte de la statue, un discours polémique vint s'inviter. Il faut dire que la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis ne fut pas aussi calme qu'on pourrait le croire. Symbole de la Liberté, la statue fut aussi largement décriée par trois communautés, ou du moins trois ensembles d'habitants qui trouvaient à redire.
Le droit des femmes
La société américaine au XIXe siècle est assez ouverte sur les droits des femmes, mais le fait qu'elles n'aient pas encore le droit de vote les poussèrent à agir ce jour-là pour faire avancer les débats. L'initiative revint à la "Woman Suffrage Association", qui comme son nom l'indique militait pour le droit de vote féminin. Elles avaient constatés que sur les 600 officiels invités à Bedloe's island, on comptait que deux femmes. Un groupe de femmes monta donc à bord d'un navire de faible taille et parvinrent à s'approcher suffisamment près de l'île pour faire entendre leurs voix revendiquant l'aberration qui consiste à ériger une liberté aux traits féminins dans un pays où elles n'ont pas la liberté politique.
Mais concernant le symbole de la Liberté représentée par une femme, chacun eu sa propre interprétation : Certains voyaient un conservatisme typiquement européen qui rabaissait la femme, d'autre au contraire faisait remarquer que désormais c'est une femme qui symboliserait la Liberté et que c'était leur donner un bien grand honneur.
Le droit des noirs
Lorsqu'Edouard de Laboulaye proposa la construction d'une statue en l'honneur de la Liberté, l'esclavage n'était toujours pas aboli aux Etats-Unis, il le fut dans l'année (1865). Par contre, la France l'avait déjà aboli depuis 1845. Durant les années 1865-1880, la communauté noire fut rudement touchée à la fois par la population blanche des Etats-Unis, qui ne les traitaient pas à égalité, mais aussi par le législateur, qui multiplia les lois réduisant leurs droits. Entre 1880 et la fin du siècle ce fut pire : De nombreux noirs furent lynchés dans un semblant d'impunité et les lois ségrégationnistes furent réellement appliquées. La communauté noire était donc en marge de la société et ne voyait pas en la statue un symbole quelconque de Liberté, cette notion leur paraissant trop inaccessible. En point d'orgue, le journal Cleveland gazette, dirigé par un afro-américain qui écrivit ceci :
Poussons la statue de Bartholdi, la torche et le reste, dans l'océan jusqu'à ce que la "liberté" dans ce pays soit telle qu'elle permette à un homme de couleur, industrieux et inoffensif, vivant dans le Sud, de gagner correctement sa vie et celle de sa famille, sans être ku-kuxisé [...], peut-être assassiné, sa femme et sa fille outragées, et sa propriété détruite. L'idée de la "liberté" de ce pays "illuminant le monde", ou même la Patagonie, est tout à fait ridicule.
Ce billet n'apparut dans la gazette qu'un mois après son inauguration. Mais la grande majorité des noirs américains ne firent pas de vagues lors de l'inauguration, ils se contentèrent de l'ignorer, se sentant peu concerné par la statue.
Le droit des ouvriers
A partir du milieu du siècle les Etats-Unis entrèrent progressivement dans l'époque de l'industrialisation, un peu en avance sur l'Europe. Cette époque, qui fait suite à celle de l'artisanat, demandait une grande quantité de main d'œuvre. Les ouvriers trouvèrent donc du travail en masse, mais ça a eu une conséquence imprévue : Face à la pénurie de main d'œuvre les dirigeants américains firent entrer sur leur sol énormément d'immigrants, venant d'Europe, la plupart des pauvres venant chercher bonne fortune. Ce phénomène ne commença que dans les années 1870 et s'accéléra réellement au début du siècle, mais il était déjà suffisamment important en 1880 pour provoquer une chute des salaires, le nombre de travailleurs étant largement en faveur du patronat. Des piquets de grève se mettaient en place, la lutte syndicale explosa et 1886 fut l'année la pire en terme de nombre de grévistes et de grèves. L'inauguration de la statue de la Liberté ne pouvait être qu'un motif de revendication pour ceux qui se sentaient brimés.
Toutefois le jour de l'inauguration il n'y eu pas de manifestations particulières à ce sujet. La statue était un symbole de la Liberté, les ouvriers s'en sont emparés, mais rien n'a vraiment été revendiqué ce jour-là.
Voir aussi : Histoire de la statue de la Liberté