Les critiques initiales
La tour Eiffel a souvent été prise comme sujet dans la littérature, aussi bien française qu'étrangère, mais c'est essentiellement lors de la construction qu'ils ont été les plus nombreux. Il faut dire que les détracteurs de cette tour étaient nombreux, les artistes étant parmi les premiers à lutter contre. Eux ne voyait dans la tour Eiffel qu'un énorme pylone venant gâcher la vue des parisiens, alors que les commanditaires de la tour y voyait l'éclatante réussite du génie français. Les deux points de vue étaient, à la fin du XIXe siècle, peu compatibles, du coup ces artistes ne se privaient pas de critiquer la tour Eiffel à travers leurs oeuvres. En ce qui concerne la poésie, c'est François Copée qui fut l'un des premiers à publier un poème contre la tour. Raoul Bonnery répliqua aussitôt en tant que défenseur de la tour, puis d'autres grands noms de la litterature s'engagèrent pour ou contre la tour. Mais cette période dura à peine plus que le temps nécessaire à sa construction, en 1889, car dès après la population accepta le monument qui fut peu à peu considéré comme un élément du patrimoine parisien. Les artistes n'avaient donc plus à le critiquer.
Plusieurs poèmes ou textes divers furent écrits et publiés dans la presse, vous en avez des exemples sur la page consacrée aux Réticences des artistes envers la tour Eiffel.
Période de la dérision
La période de la dérision correspond à une courte période après la construction de la tour durant laquelle les artistes satiriques critiquaient ce monument pour l'amusement du public. Elle suit la période des critiques initiales. Ces humoristes ou caricaturistes ont d'ailleurs permis une meilleure acceptation de sa présence en la tournant en ridicule.
L'un des plus connu est Alphonse Allais. Ce dernier fit paraître une petite pièce nommée "Utilisation de la tour Eiffel en 1900" dans lequel il met en avant son héros récurrent, le "Captain Cap", qui a une conversation absurde sur l'utilisation de la tour. Ce texte est paru en 1897 dans la revue "Le bec dans l'eau".
Au risque de faire beaucoup de chagrin à Maurice Barrès, les pouvoirs publics semblent disposés à exécuter une Exposition universelle en l’an 1900. Je n’apprendrai rien à personne en ajoutant que ces magnifiques joutes de l’industrie internationale tiendront leurs assises dans les quartiers du Champ de Mars, du Trocadéro et des Champs-Élysées. On ira même jusqu’à démolir — pleurez, mes yeux ! — cette merveille de grâce et d’aménagement qui s’appelle le Palais de l’Industrie.
La question de la suppression de la Tour Eiffel fut un instant agitée en haut lieu. (Peut-être même, ce haut lieu n’était-il autre que la propre troisième plate-forme de ladite tour.)
On discuta longtemps, paraît-il. Finalement, sur la réflexion d’un judicieux esprit que, le conseil de la Légion d’honneur ayant laissé sa rosette à M. Eiffel, on pouvait bien conserver sa tour, on décida de ne point déboulonner encore le métallique édifice.
Apprenant cette résolution, mon ami le Captain Cap sourit dans ses longues moustaches, vida d’un trait le gobelet qui se trouvait à sa portée et dit :
— J’ai une idée !
— Le contraire m’eût étonné, Cap !
— Une idée pour rendre utile cette stupide tour qui fut, en 1889, une utile démonstration industrielle, mais qui est devenue si parfaitement oiseuse.
— Et puis, on l’a assez vue, la tour Eiffel !
— On l’a trop vue !… Conservons-la, soit, mais donnons-lui un autre aspect.
— Si on la renversait la tête en bas, les pieds en l’air ?
— C’est précisément à quoi j’ai pensé. Mais mon idée ne s’arrête pas là.
— Votre idée, Cap, ne saurait point s’arrêter ! Comme le temps, comme l’espace, elle ne connaît point de bornes !
— Merci, mon garçon !… Donc, nous renversons la tour Eiffel et nous la plantons la tête en bas, les pattes en l’air. Puis, nous l’enveloppons d’une couche de magnifique, décorative et parfaitement imperméable céramique.
— Bravo, Cap !… Et puis ?
— Et puis, quand j’ai obtenu un ensemble parfaitement étanche, j’établis des robinets dans le bas et je la remplis d’eau.
— D’eau, Captain ? quelle horreur !
— Oui, d’eau… Bien entendu, avant cette opération, j’ai débarrassé la tour des constructions en bois, et en général de toutes les matières organiques qui corrompraient mon eau. Devinez-vous, maintenant ?
— Je devine ou je crois deviner que vous exposerez à l’admiration des foules un somptueux gobelet quadrangulaire de 300 mètres de haut.
— Un gobelet rempli de quoi ?
— Un gobelet rempli d’eau.
— D’eau… comment ?
— Je comprends !… D’eau ferrugineuse. Ah ! Cap, vous êtes génial !
— Oui, d’eau ferrugineuse et gratuite à la disposition de nos contemporains anémiés. Au bout de quelques années, toute cette masse de fer, dissoute peu à peu dans l’eau des pluies, aura passé dans l’organisme des Parisiens, leur communiquant vigueur et santé…
— Si, au lieu d’eau, nous mettions du gin, Cap, du bon vieux gin ?
Le Captain me répondit sévèrement :
— Le goût du gin ne va pas avec le goût du fer.
Période de l'acceptation
Une fois la tour terminée les artistes furent moins enclin à critiquer la tour. il faut dire qu'elle prouvera son utilité dans les années suivantes, et du coup elle commence à être accepté par la population.
En 1912 on la retrouve dans un poème de Guillaume Apollinaire, "Zone", qui est paru en 1913 dans le recueil "Alcools". Ce recueil était une refonte d'un premier ouvrage, "Eau de vie", dans lequel ce poème ne figurait pas. Il y a été ajouté en tout dernier. Ce poème est assez spécial car les vers sont regroupés de façon incohérentes, et ils ne riment pas forcément. (On dit qu'ils sont assonancés). Il faut noter également l'absence de ponctuation. Ce poème est donc tout à fait singulier dans l'oeuvre d'Appolinaire.
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes
Autre exemple de poème de cette époque, toujours en 1913, nous avons Blaise Cendrars qui écrit un nouveau poème sur la tour Eiffel. Blaise Cendrars (1887-1961) était un poète mutilé de guerre, grand Voyageur. Ses débuts sont marqués par "La petite Jeanne de France" (1913), puis il s'aventurera à écrire de la prose. Voici le texte de son poème "Tour" qui, comme son nom l'indique, est à la gloire de la tour Eiffel.
1910
Castellamare
Je dînais d'une orange à l'ombre d'un oranger
Quand, tout à coup...
Ce n'était pas l'éruption du Vésuve
Ce n'était pas le nuage de sauterelles, une des dix plaies d'Egype
Ni Pompéi
Ce n'était pas les cris ressuscités des mastodontes géants
Ce n'était pas la trompette annoncée
Ni la grenouille de Pierre Brisset
Quand, tout à coup,
Feux
Chocs
Rebondissements
Etincelle des horizons simultanés
Mon sexe
O Tout Eiffel !
Je ne t'ai pas chaussée d'or
Je ne t'ai pas fait danser sur les dalles de cristal
Je ne t'ai pas vouée au Python comme une vierge de Carthage
Je ne t'ai pas revêtue du péplum de la Grèce
Je ne t'ai jamais fait divaguer dans l'enceinte des menhirs
Je ne t'ai pas nommée Tige de David ni Bois de la Croix
Lignum Crucis
O Tour Eiffel
Feu d'artifice géant de l'Exposition Universelle !
Sur le Gange
A Bénarès
Parmi les toupies onanistes des temples hindous
Et les cris colorés des multitudes de l'Orient
Tu te penches, grâcieux palmier !
C'est toi qui à l'époque légendaire du peuple hébreu
Confondis la langue des hommes
O Babel !
Et quelque mille ans plus tard, c'est toi qui retombais en langues de feu
Sur les Apôtres rassemblés dans ton église
En pleine mer tu es un mât
Et au Pôle Nord
Tu resplendis avec toute la magnificence de l'aurore boréale de ta télégraphie sans fil
Les lianes s'enchevêtrent aux eucalyptus
Et tu flottes, vieux tronc, sur le Mississipi
Quand
Ta gueule s'ouvre
Et un caïman saisit la cuisse d'un nègre
En Europe tu es comme un gibet
(je voudrais être la tour, pendre à la Tour Eiffel !)
Et quand le soleil se couche derrière toi
La tête de Bonnot roule sous la guillotine
Au coeur de l'Afrique c'est toi qui cours
Girafe
Autruche
Boa
Equateur
Moussons
En Australie tu as toujours été tabou
Tu es la gaffe que la capitaine Cook employait pour diriger son bateau d'aventuriers
O sonde déleste !
Pour le simultané, Delaunay à qui je dédie ce poème,
Tu es le pinceau qu'il trempe dans la lumière
Gong tam-tam sanzibar, bête de la jungle rayon-X, express bistouri symphonie
Tu es tout
Tour
Dieu antique
Bête moderne
Spectre solaire
Sujet de mon poème
Tour
Tour du monde
Tour en mouvement
Vicente García-Huidobro Fernández, communément appelé Vincente Huidobro, est un poète chilien surréaliste de la première moitié du XXe siècle. Poète prolifique, il est aussi l'auteur de nombreux livres. Au début du XXe siècle il voyage à Paris avec sa famille et s'y installe temporairement. Il écrit pour la première fois un poème en français en août 1917, il s'agit de "Tour Eiffel", un poème qui y fait sa gloire. C'était dans la revue "Nord-Sud" (Revue N°6), une revue créée par Pierre Reverdy beaucoup lue à Barcelone où les catalans de gauche sont solidaires du combat des Français engagés dans la guerre. Ce poème sera sera repris dans un recueil l'année suivante, recueil publié à Madrid.
Guitare du ciel
Ta télégraphie sans fil
Attire les mots
Comme un rosier les abeilles
Pendant la nuit
La Seine ne coule plus
Télescope ou clairon
Tour Eiffel
Et c'est une ruche de mots
Ou un encrier de nuit
Au fond de l'aube
Une araignée aux pattes de fil de fer
Faisait sa toile avec des nuages
Do ré mi fa sol si do
Nous sommes en haut
Un oiseau chante C'est le vent
Dans les antennes De l'Europe
Télégraphiques Le vent électrique
Les chapeaux s'envolent
Ils ont des ailes mais ne chantent pas
Jacqueline
Fille de France
Qu'est-ce que tu vois là-haut ?
La Seine dort
Sous la bouche des ponts
Je vois tourner la Terre
Et je sonne mon clairon
Vers toutes les mers
Sur le chemin
De ton parfum
Toutes les abeilles et les paroles s'en vont
Sur les quatre horizons
Qui n'a pas entendu cette chanson?
Je suis la reine des aubes des Pôles
Je suis la rose des vents qui se fane tous les automnes
Et toute pleine de neige
Je meurs de la mort de cette rose
Dans ma tête un oiseau chante toute l'année
Et c'est comme ça qu'un jour la terre m'a parlé
Tour Eiffel
Volière du monde
Chante, chante
Souvenirs de Paris
Le géant tendu au milieu du vide
Est l'affiche de France
Le jour de la victoire
Tu la raconteras aux étoiles
En 1919 Jean Cocteau écrivit un court poème, le "Chant du paveur", dans lequel il évoque la tour Eiffel. C'est surtout la renommée de l'artiste qui fait la force du texte, très court, bien qu'il faille avouer qu'il est plutôt bien tourné.
Autour du cou charmant Eiffel
la belle girafe en dentelle
rendez-vous de pigeons voyageurs inconnus
et laisse en bas l'azur éloquent choir
au bord de l'eau...
Guillaume Appolinaire avait pour habitude de rédiger des calligrammes. Un calligramme est un poème dont le format graphique forme un motif, généralement en rapport avec l'objet du texte, mais il peut arriver que la forme génère un sentiment qui s'oppose au texte. L'origine du mot est la contraction de la "calligraphie" et de "l'idéogramme". Il est, pour Apollinaire, une "écriture en beauté".
Calligramme de Guillaume Appolinaire
Salut monde dont
Je suis la langue
Éloquente que ta
Bouche o Paris
Tire et tirera
Toujours
Aux allemands
En 1924 Jean Giraudoux publie "Prière sur la tour Eiffel", un texte écrit et publié en plaquette chez Emile Paul, puis inséré dans le chapitre VI de "Juliette au pays des hommes". il y fait l'éloge de la tour d'une façon assez forte. De nos jours ce texte est très daté, mais on ressent bien sa force, justement.
Le moindre vent me dirige. Au lieu de remonter la Seine j’ai suivi son courant. Des patrouilles escortaient ce poète qui allait au travail - et voici la Tour Eiffel ! Mon Dieu, quelle confiance il possédait en la gravitation universelle, son ingénieur ! Sainte-Vierge, si un quart de seconde l’hypothèse de la loi de la pesanteur était controuvée, quel magnifique décombre ! Voilà ce qu’on élève avec des hypothèses. Voilà réalisée en fer la corde que lance au ciel le fakir et à laquelle il invite ses amis à grimper… J’ai connu Eiffel, je grimpe…
Mon Dieu, qu'elle est belle, vue de la cage du départ, avec sa large baguette cousue jusqu'au deuxième, comme à une superbe chaussette !
Mais elle n'est pas un édifice, elle est une voiture, un navire. Elle est vieille et réparée comme un bateau de son âge, de mon âge aussi, car je suis né le mois où elle sortit de terre. Elle a l'âge où l'on aime sentir grimper sur soi des enfants et des Américaines. Elle a l'âge où le cœur aime se munir de T.S.F. et de concerts à son sommet. Tout ce que j'aime dans les transatlantiques je l'y retrouve. Des parfums incompréhensibles, déposés dans un losange d'acier par un seul passant, et aussi fixes dans leur altitude qu'un cercueil dans la mer tenu par son boulet ; mais surtout des noms de Syriens, de Colombiens, d'Australiens, gravés non sur les bastingages mais sur toutes les vitres, car la matière la plus sensible de cette tour et la plus malléable est le verre. Pas un visiteur étranger qui ne soit monté là avec un diamant... On nous change à chaque instant d'ascenseur pour dérouter je ne sais quelle poursuite, et certains voyageurs, débarrassés de leurs noms et prénoms dès le second étage, errent au troisième les yeux vagues, à la recherche d'un pseudonyme ou d'un parrain idéal.
On donne un quart d'heure d'arrêt sur cette plate-forme. Mais, pour ces quinze minutes d'isolement, Eiffel assembla tout ce qui suffit pour onze mois aux passagers du bateau qui fait le tour du monde, dix jeux de tonneau, dix oracles automatiques, des oiseaux mécaniques par douzaines, et le coiffeur.
Chaque exposition a laissé si haut son alluvion, un peu d'alluvion universelle.
Celle de 1889, des appareils stéréoscopes où l'on voit les négresses de chaque peuplade du Congo écarter les yeux et les seins devant un spectacle prodigieux qui ne peut être, tant leurs surprises sont semblables, que l'aspect du photographe. Celle de 1900 des mots russes. Moscou, Cronstadt sont montées elles aussi graver leur nom...
Mais que le musée Galliera est beau d'ici !
Comme ces disputes que mènent en bas Notre-Dame et le Sacré-Cœur, le Panthéon et la gare de Lyon, on voit d'ici qu'elles sont truquées pour amuser un peu les hommes et qu'il n'y a, au contraire, entre tous ces édifices qu'accord et que consentement. Désaxés aujourd'hui par un aimant qui est sans doute l'amitié, c'est tout juste si le pont Alexandra et le pont de la Concorde ne se rapprochent et ne s‘accolent pas. Comme d'ici les lois de l'univers reprennent leur valeur! Comme les savants ont tort, qui disent l'humanité vouée à la mort, un sexe peu à peu prédominant, et comme au contraire ils apparaissent distribués dans les rues, les voitures et aux fenêtres en nombre égal, ces hommes et ces femmes, qui, la journée finie, se retirent pour engendrer et concevoir, grâce à un stratagème.
Que l'on travaille en ce premier mai sur ce faîte ! Un radio envoie vers quatre continents, à travers moi, les nouvelles de Paris. Sur une carte je vois délimité son domaine, si net que par le bottin étranger je peux connaître le nom du dernier épicier brésilien, du dernier rentier de Samarkand effleuré par ses ondes. Tout un orchestre joue aussi pour l'univers, satisfait du seul applaudissement du gardien. Seuls les hommes de lettres ici sont sans voix. Bénie soit l'institutrice qui, lorsque j'eus cinq ans, me montrant le plus beau livre d'images et me bâillonnant hermétiquement de sa main, m'apprit à penser sans avoir à pousser des cris, en deux leçons d'une heure "
La tour Eiffel
Le Corbusier est un grand nom de l'architecture mondiale. Infatigable globe-trotter français, il imagina un grand nombre d'édifices des années 1950 à 1980. L'une de ces oeuvres les plus célèbres et la Cité Le Corbusier, à Marseille, qui avait été conçu pour ressembler au plus près à un village. Les couloirs desservant les appartements sont très larges de façon à imiter les rues, les commerces au rez-de-chaussée permettaient le lien social tout en assurant l'approvisionnement des habitants. L'idée de fabriquer de tels bâtiments ne peut naître que dans un cerveau tourné vers l'art. Avoir l'avis de Le Corbusier sur la tour Eiffel est donc intéressant.
C'est ce qui arrive en 1955 dans un ouvrage sobrement intitulé "La tour Eiffel", livre écrit par Charles Cordat et édité aux éditions de Minuit. Il s'agissait d'un recueil de dessins et photos du monument. L'éditeur demanda à Le Corbusier une préface, qui est donné ci-dessous in-extenso
Les Editions de Minuit me demandent une préface pour "La tour Eiffel". Les premières lignes du livre m'ont ravi : Les mots, les situations évoquées, trouvaient en mon coeur une résonnance. J'en ai prononcé de tels, j'en ai vécu de telles; et le fait indéniable est qu'il faut, pour parler de la tour, faire appel aux vocables de la sensibilité. Ainsi qu'aux notions de courage et d'intrépidité. Dans cette affaire de Tour, il est question d'homme et d'affectivité.
...Paris au centre du bassin qui porte son nom...
...L'un des paysages les plus harmonieux du monde...
...Le touriste, le flâneur,le passant contemplent la ville dont la magie...
...Chaque jour nait un nouveau rêve et Paris s'augmente d'un nouveau joyau...
...Chaque reflux... lui laisse... un monument de plus où sa gloire flambe quelque temps, le temps d'un nouveau prodige, qui devien familier. Après avoir été du goût du jour, chaque édifice s'accord aux nuances d'un ciel... jamais en défaut...
...L'histoire parait avoir une prédilection pour cette ville enfiévrée, rieuse; elle aime à y ajouter les témoignages de son humeur aux créations du génie des hommes...
...Un nouvel âge commançait... Il exigea son symbole, la Tour, monument de l'industrie humaine, de l'audace et de l'efficacité française, devenu le symbole de Paris...
Voilà.
Cette porte fut refermée violemment par les architectes eux-mêmes. Eiffel ? Un ingénieur ? La Tour ? Calculée (en partie) d'après "Les fibres de plus grande résistance" découvertes un jour par un étudiant dans un fémur scié en long et passé de mains en mains au cours d'une leçon d'anatomie (Koechlin). Sa hauteur, sa ligne, son allure ? Sainte horreur proclamée pathétiquement, solennellement et pompeusement dans la "pétition des Artistes", réclamant du ministre la fermeture du chantier !
Artiste et ingénieurs ? Quel hiatus, quelle incompatibilité ! On ne savait pas que les temps viendraient, où artiste, ingénieur, architecte seraient (seront) réunifiés dans la caste des "Batisseurs".
Batir...
Art : "Application des connaissances à la réalisation d'une conception" (Dictionnaire)
Ne nous impatientons pas : La page tourne et d'immenses évènements sont proches, d'immenses promesses sont déjà là.
En 1889, la tour Eiffel, fruit d'une intuition, d'une science, d'une foi, - fruit de ce terreau de Paris (Ville du Monde) - était érigée, plantée comme un drapeau.
Mr Eiffel était, j'en suis certain, un doux calculateur, habité par la grandeur et la hauteur (de l'esprit). Il était peiné de n'être pas pris pour un donateur de beauté (ses ponts de Garabit, sur le Danube et sur le Douro). Ses calculs étaient inspirés et conduits par un instinct admirable de la proportion. Son désir était l'élégance : Paris en avait fait un enfant de Paris.
J'ai entendu sa voix, vers 1923 - Au téléphone. Je lui demandais une image du pont de Garabit pour un article de l'Esprit Nouveau intitulé "Pérennité". La tour y serait aussi, et le Colisée, et le Pont du Gard, et la Villa Rotonda. La voix d'Eiffel était douce : Il fut affable, plus que cela, amical. Il était enchanté d'être l'objet de nos admirations juvéniles.
Au cinquantenaire de la Tour, en 1937, le Palais de Chaillot rassembla des textes et des images, les installant dans des vitrines et sur les murs d'une salle dont la grande baie était en prise directe avec la Tour elle-même.
Présents : A travers la fenêtre, la Tour, en face; devant la fenêtre, la vitrine, abritant l'original de la Pétition des Artistes; sur les embrasures de la fenêtre, deux feuilles de dessins au fusain faits au cours d'une séries de conférences à Buenos-Aires en 1929 où Paris apparaissait en divers croquis dans ses oeuvres successives :
- Avec la cité et Notre-Dame et l'abbaye de St Germain des près
- Avec le Pont Neuf et la colonnade du Louvre
- Avec Notre-Dame, les Invalides, la Colonnade du Louvre, le Sacré-Coeur
- Avec la Tour Eiffel, les Invalides, la Colonnades, Notre-Dame, le Sacré-Coeur
- Avec l'Arc de l'étoile, la Tour Eiffel, les Invalides, le Sacré-Coeur, Notre-Dame
Sur le quatrième croquis était écrit en travers du ciel "Ca, c'est Paris !".
Sur le cinquième : "C'est encore Paris !".
Un sixième croquis montrant La tour Eiffel, l'Arc de l'étoile, le Sacré-Coeur, la Colonnade, quatre Gratte-ciel de bureaux ("gratte-ciel cartésien"), les Invalides, Notre-Dame avec cette mention : "Ici, l'Académie dit : Non !".
J'apporte à la tour le témoignage d'un infatigable lélerin à travers le monde. Dans les villes, dans la savane, dans la pampa, dans le désert, sur les Gaths et sur les estuaires, partout et chez les humbles comme chez les autres la Tour est dans le coeur de chacun, signe de Paris aimé, signe aimé de Paris.
Un tel hommage est dû à la valeur d'un homme, d'un lieu et d'une époque.
Cet ouvrage y ajoute une précieuse information.
Raymond Queneau est un romancier et poète du XXe siècle, né en 1903 et mort en 1976. Il est l'auteur de 17 romans et 13 recueils de poésies dont "Courir les rues", publié en 1967. C'est dans cet ouvrage que l'on trouve "La tour squelettique", un court poème sur la tour Eiffel qui est comparée à un simple squelette.
Tour Eiffel d’ossements
Catacombes aériennes
Tibias escaliers
Et à trois cents mètres au-dessus du sol
Le crâne antenne
Qui ne parle que pour l'écoute
En 1975 l'éditeur Jacques Damase, hélas décédé en 2014, publie l'ouvrage "La tour Eiffel de Robert Delaunay". Cet éditeur était un amoureux de l'art et publiait régulièrement des ouvrages sur les différents coup de coeur qu'il avait. Il fit éditer plusieurs ouvrages sur le peintre Delaunay qui était un contemporain de la construction de la tour Eiffel et qui l'a peinte à de nombreuses reprises. Ce poème de Louis Aragon a été publié dans cet ouvrage, il s'intitule "La tour parle".
Vous du Métro
Dans le soir avec mes yeux phosphore orage
C'est moi que les collégiens de leurs mains ivres
Caressent sans savoir pourquoi
Ils lèvent leur front lourd les enfants des péniches
La balle échappe à leurs doigts gourds
Quand le fleuve en passant baigne mes pieds et chante
Voici voici la grande femelle bleue
La dame au corsage de jalousie
Elle est tendre elle est nouvelle
Ses rires sont des incendies
jeunesse de marelle où vas-tu sauter
Vois nos mains traversées d'alcool et de sang bleu
Laisse-nous respirer tes cheveux de métal
Mais accroupi dans mes jupes
Que fait près de moi ce régime de bananes
Paris paysage polaire
Mon corps de lévrier dans le vent chaud
Le sentez-vous comme il est rose
Comme il est blanc comme il est noir
Femmes léchez mes flancs d'où fuit FL FL
Le bulletin météorologique
Messieurs posez vos joues rasées
Contre mes membres adossés aux cieux
Où les oiseaux migrateurs
Nichent
"La tour" est un livre récent, il est paru en janvier 2016. Ecrit par Jill Jonnes, une écrivaine américaine, il raconte les déboires de la construction de la tour Eiffel de 1887 à 1889. Elle nous fait suivre les personnages principaux impliqués dans cette construction, elle décrit l'ambiance, les décors, les lieux où se déroulent les principales actions, en bref elle nous plonge dans le Paris de la fin du XXe siècle. Et en plus, elle parvient à rendre l'histoire parfaitement captivante dans une intrigue haletante où le lecteur se laisse emporter dans la multiplication des problèmes et leurs résolutions successives.
On y suit aussi l'évolution du chantier, du rachat par la mairie du parc entre le champ de Mars et la Seine jusqu'à la pose du drapeau tricolore sur la hampe, le jour de l'inauguration. "La tour" est un bel ouvrage moderne qui retrace l'histoire de la construction de la tour Eiffel tout en racontant une histoire romanesque.
Voir aussi :