Henry de Dion
Biographie
Henry de Dion est l'un des 72 savants dont le nom est inscrit sur le premier étage de la tour Eiffel. Il est le 8e, sur la face tournée vers l'Est.
Le comte Henry de Dion, ingénieur, est né à Montfort l'Amaury (Seine-et Oise), le 23 décembre 1828; il est mort à Paris le 13 avril 1873. Il fit ses études en Suisse et entra en 1818 à l'Ecole centrale des Arts et Manufactures. En 1851, nous le voyons dans les bureaux des études du chemin de fer de Saint-Germain-en-Laye. Les facultés exceptionnelles dont la nature l'avait dotée pour les sciences le portèrent à se consacrer de préférence à toutes les questions de résistance des matériaux et de mécanique, qui, à cette époque, n'étaient pas familières, comme de nos jours, à la totalité des ingénieurs. Il fut distingué par Eugène Flachat d'envoyé au chemin de fer du Midi, pour étudier le projet du pont de Langon. Cette entreprise toute nouvelle est restée l'œuvre personnelle de Henry de Dion.
Il avait achevé cette mission, lorsque Eugène Flachat fut désigné pour donner son avis sur une question qui agitait tous les esprits de la ville de Bayeux (Calvados) et donnait lieu à des polémiques passionnées. Il s'agissait de la restauration de la tour centrale de la cathédrale qui menaçait ruine et qu'on avait condamnée à une démolition immédiate. Eugène Flachat, au contraire, avec autant de justesse que de hardiesse dans le coup d'œil, déclara que la conservation de la tour lui semblait possible, à la condition d'en prendre seul la responsabilité, sans délai et avec complète liberté d'action, et d'y employer qui il voudrait. Le grand ingénieur avait jeté son dévolu sur Henry de Dion, qu'il avait vu à l'œuvre et auquel il allait confier ce travail redoutable.
En effet, la tour centrale de la cathédrale de Bayeux est une construction du XVe siècle, élevée sur les quatre piliers formant l'intersection de la nef du transept. Ces piliers étaient romans et les architectes, les trouvant trop faibles pour supporter le poids dont ils allaient les charger, avaient construit autour de chacun d'eux une enveloppe qui en augmentait le diamètre. Mais cette enveloppe n'était pas reliée avec le noyau central; de plus, le choix des matériaux avait été fait légèrement, en sorte que des tassements se produisirent peu à peu et que le poids de la tour vint à reposer sur les noyaux et les enveloppes, en les comprimant séparément. A l'époque où Henry de Dion arriva à Bayeux, les dommages étaient effrayants. Les murs étaient lézardés, l'enveloppe des piliers était écrasée, les désordres s'aggravaient chaque jour, chaque heure, pour ainsi dire, et la chute de la tour était imminente. Le jeune ingénieur, soutenu par son illustre maître, ne se laissa pas émouvoir. Il arrêta immédiatement un plan consistant à entourer les piliers d'un coffrage en bois dans lequel on coulerait du plâtre, pour apporter un secours temporaire et retarder l'anéantissement définitif, à monter des échafaudages taillés sur place, et à entourer la tour de ceintures de fer formées de barres posées à chaud, de manière à retarder la marche des lézardes et même à les refermer. Le succès de ce beau travail fut complet. Au bout de quelques semaines, la tour, dont le poids était d'environ trois millions de kilogrammes, reposait sur des échafaudages; elle avait même été soulevée par l'effort des vérins. Les piliers furent démolis, reconstruits, et l'œuvre menée à bien, conformément au plan arrêté. Henri de Dion reçut, comme récompense, la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Il avait vingt-cinq ans.
Pendant l'exécution de ces travaux mémorables, on n'eut à supporter qu'un seul événement pénible. Un puisatier fut enseveli sous l'écroulement d'une maçonnerie profonde. Par un hasard rare, les moellons firent voûte au-dessus de sa tête et le malheureux se trouva emprisonné vivant et sans blessures graves. On accourut et Henry de Dion, pour éviter de rompre l'équilibre des matériaux, causer la mort de l'ouvrier, fit faire un puits à quelque distance et percer une galerie pour rejoindre ce dernier. On atteignit la maçonnerie écroulée et on put passer à cet homme, qui se croyait perdu, au moyen d'un tube, des aliments liquides. II fallait des précautions de tous les instants pour éviter l'éboulement. De Dion avait pris la direction du sauvetage. Lorsque, accablé de fatigue, il allait prendre quelques instants de repos, le malheureux, qui avait appris à reconnaître sa voix, le redemandait à grands cris, se croyant, dès qu'il ne l'entendait plus, abandonné et perdu. Enfin, après deux jours et trois nuits d'efforts et d'angoisses, le jeune ingénieur eut la suprême satisfaction d'arracher lui-même cet enterré vivant à son effroyable prison.
Après l'achèvement des travaux de Bayeux, Henry de Dion se rendit en Espagne pour le compte de la Compagnie belge de matériel de chemins de fer, et y monta plusieurs ponts en tôle. Puis il passa à la Guadeloupe où il construisit la sucrerie de M. le marquis de Rancougne, une des plus belles usines des colonies françaises. A son retour, il remplaça pendant une année M. Emile Trélat au Conservatoire des Arts et Métiers (cours de construction civile) et il accepta à l'Ecole centrale d'architecture la chaire de stabilité des constructions. La tâche que Henry de Dion entreprenait était difficile ; mais c'est là qu'il a rendu des services éminents et qu'il s'est illustré. Il faut le dire, c'est à lui que l'on doit la possibilité, appliquée avec tant de succès et de hardiesse, dans le palais des machines de l'Exposition universelle de 1889, de dresser les grandes fermes sans entrait dans les constructions métalliques. Déjà en 1867, il avait présenté une disposition nouvelle consistant à prolonger les piliers soutenant les fermes, au-dessus de la toiture, en employant seulement des tirants. Les fermes métalliques sans entrait, qui sont si élégantes et si audacieuses et qui sont devenues les éléments les plus justement admirés dans les constructions, sont l'œuvre de Henri de Dion.
Elu président de la Société des ingénieurs civils en 1877, il prononça le 5 janvier un discours inaugural, remarquable à plus d'un titre, dans lequel il insistait sur l'importance de l'histoire des sciences "Non seulement elle nous enseigne comment les idées ont pris naissance et se sont développées, niais elle nous montre aussi combien on passe à côté de la vérité et combien, lorsqu'on l'a trouvée, il faut encore d'efforts et de temps pour la répandre et pour lui donner la forme simple sous laquelle nous pouvons l'utiliser".
A sa science, à ses qualités exceptionnelles de caractère droit et décisif, Henry de Dion joignait un grand patriotisme. Il était au Pérou, lorsqu'il apprit, en 1870, la déclaration de guerre ; il s'embarqua aussitôt pour la France et arriva à Paris avant le blocus. Nommé commandant du génie auxiliaire, ce fut lui qui construisit, sous le feu allemand, toutes les redoutes en avant de Champigny ; c'est à la suite de cette belle conduite qu'il fut promu au grade d'officier dans l'Ordre de la Légion d'honneur.
Henry de Dion était marié seulement depuis un an à sa cousine germaine, Mlle Le Vaillant du Chatelet, qui a conservé pour sa mémoire le culte le plus tendre et le plus jaloux, lorsqu'il tomba malade et fut enlevé dans la force du talent, à l'instant même où l'homme peut rendre tant de services, mais ayant laissé dans les sciences mécaniques et dans l'art de l'ingénieur des travaux qui ne périront pas. Son portrait a été exécuté sur une photographie confiée par sa veuve.
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