Pour faire face aux défis de sa démographie, l'Egypte dispose d’atouts variés et décisifs. Le premier avantage de ce pays lui vient de sa position géographique. L'Egypte en tire profit par l'intermédiaire du canal de Suez.
Le canal de Suez
Relier l'Orient à l'Occident en réduisant des deux tiers le trajet entre l'Asie et l'Europe, après avoir été un vieux rêve des pharaons, finit par être concrétisé par le Français Ferdinand de Lesseps. Inauguré à grand fracas en 1869, le canal de Suez mesure 195 km de long, 170 m de large et 20 m de profondeur. Il relie Port-Saïd (Bûr Sa'ïd), sur la Méditerranée, à Suez, sur la mer Rouge, en passant par les lacs Amers.
Longtemps fermée à la suite de la guerre de 1967 avec Israël, la voie d'eau a été rouverte en 1975 et voit de nouveau circuler trois convois quotidiens de navires marchands. Elle n'a cependant pas retrouvé son niveau de trafic antérieur à la guerre. Car, durant la période où le canal est resté fermé, les tankers, désormais contraints de faire le détour par Le Cap pour approvisionner les pays occidentaux en pétrole venant des États du golfe Persique, ont vu leur taille augmenter. Ainsi le canal a-t-il enregistré son trafic maximal en 1966 avec 242 millions de tonnes. Les péages représentaient alors 5 à 6% du produit national brut et couvraient 10% environ du budget du pays.
En 1978, ces recettes ne couvraient plus que 3% du même budget. Aussi, en réponse à cette baisse de ressources, le gouvernement égyptien s'est-il résolu à entreprendre un vaste chantier : L'élargissement et l'approfondissement du canal. Ils devraient permettre à l'avenir le passage des supertankers de 700 000 à 800 000 tonnes. L'Egypte espère de la sorte améliorer le trafic de 50%. Entre-temps, un oléoduc reliant Suez à Alexandrie, qui a été inauguré en 1976, offre un moyen subsidiaire pour faire transiter de forts tonnages de pétrole à travers l'isthme.
L'atout humain
Outre les recettes du canal, la balance commerciale égyptienne s'appuie aussi sur des éléments humains. Le tourisme d'abord, même s'il plafonne avec un million de visiteurs par an. Surtout l'Egypte dispose d'une ressource cachée, les envois d'argent des émigrés.
La diaspora des Égyptiens se répartit largement dans tout le Moyen-Orient. Une forte colonie égyptienne travaille en Libye. Les Égyptiens sont aussi nombreux dans les pays du golfe Persique ainsi qu'en Arabie Saoudite. Le nombre total des émigrés égyptiens est évalué au moins à un million. L'argent qu'ils expédient à la mère-patrie équivaudrait au double des recettes procurées par le canal de Suez.
Les exports
La balance commerciale égyptienne repose aussi sur des exportations de matière première. L'Egypte possède en effet d'importantes ressources minérales. Il convient de rappeler d'abord les productions traditionnelles, l'or de la chaîne arabique, le manganèse du Sinaï occidental et les phosphates des côtes de la mer Rouge. Dans la période récente, un élément décisif est venu s'ajouter à ces ressources du sol : le pétrole. Des gisements d'hydrocarbures ont été décelés dans le Sinaï et dans le désert Libyque. La production pétrolière égyptienne connaît un plein essor. Elle atteint 35 millions de tonnes de brut. Les réserves prouvées dont l'Egypte sait pouvoir disposer sont de l'ordre de 400 millions de tonnes. L'Egypte oriente donc la moitié de ce pactole vers l'exportation tant que son industrie nationale n'en a pas l'utilisation.
L'industrialisation
C'est inévitable, le développement de l'Egypte doit passer par l'industrialisation. Or, dans ce domaine, il reste encore beaucoup à faire.
Cette mutation s'est pourtant amorcée depuis longtemps. Au XIXe siècle, grâce à la politique résolument moderniste du khédive, le pays reçut l'impact de l'Occident et entreprit d'implanter sur son territoire des usines, notamment textiles. À l'heure actuelle, l'industrie égyptienne occupe le deuxième rang sur le continent africain. Elle peut mieux faire.
La diversité de ses branches d'activité en témoigne. Son industrie textile, qui occupe à elle seule la moitié des effectifs de la main-d'œuvre locale, s'appuie sur une tradition maintenant séculaire. D'autres activités complètent le secteur des industries anciennes : l'alimentation (20% de la main-d'œuvre) et la cimenterie. La mise en valeur de la Haute-Égypte a vu la création d'une sidérurgie utilisant le minerai de fer des gisements proches d'Assouan. La production nationale d'acier dépasse déjà 1 million de tonnes. L'industrie chimique est aussi une branche en plein essor, liée à l'expansion des terres cultivables et à l'irrigation pérenne qui nécessite des apports d'engrais sans cesse croissants. Des usines d'engrais chimiques, installées à Abou-Zabal, près au Caire, à Hamrawein, sur la mer Rouge, et à el-Sibaiya, près d'Assouan, doivent répondre à cette demande intérieure.
La découverte récente d'un gisement de gaz naturel dans le nord du Delta modifie de façon favorable le programme de développement du pays. Le gaz naturel alimente une nouvelle unité de production, située à Talkha, c'est-à-dire tout près de la zone d'extraction du gaz. Enfin, une politique moderne d'aménagement vise à diversifier les productions énergétiques. Pétrole, gaz, hydroélectricité, électricité d'origine thermique, d'origine nucléaire : non seulement l'Egypte couvre ses besoins mais elle exporte de l'énergie.
Pourtant, la balance commerciale demeure lourdement déficitaire. Il est vrai qu'une part notable du budget doit être consacrée à des activités non productives comme la défense. On ne saurait cependant minimiser la réalité des bases de développement. Certains indices sont encourageants. Par exemple le produit national égyptien augmente maintenant plus vite que la population.
Les projets récents
L'Egypte caresse donc des projets. Et tant pis si leur démesure les fait paraître insensés!
À l'ouest du Nil, Kharguèh (el-Khârdja), perdue au fond de sa dépression au cœur du désert Libyque, est le centre de la Nouvelle Vallée. Ce vaste projet de développement envisage de gagner des centaines de milliers d'hectares sur le désert. Des paysans sans terre ont été amenés ici pour y habiter et pour cultiver ces nouvelles emblavures. L'industrie n'est pas oubliée non plus. Le minerai de fer extrait de l'oasis de Bahriya est expédié vers les aciéries du Caire. Tandis que, à l'autre extrémité de la zone d'aménagement, une usine de phosphate est en projet à Abou-Tartur.
Toujours dans le désert Libyque mais au nord cette fois, un autre projet énorme vise à mettre en valeur la dépression de Kattara. Le projet envisage de dessaler l'eau de mer de la Méditerranée et de l'amener par canal jusqu'à la dépression en profitant du fait que le fond de celle-ci est au-dessous du niveau de la mer.
Même son de cloche à propos du Sinaï. « Le Sinaï de l'an 2000 sera peuplé par 2 millions d'Égyptiens. 1 125 000 hectares de sable seront irrigués au centre et au nord de la péninsule, au moyen de canalisations souterraines ». L'ambitieux projet du président Sadate, annoncé en 1973, est repris depuis lors par les Égyptiens les plus enthousiastes. Le projet englobe l'extraction du manganèse d'Oum Bogma, son traitement dans la fonderie d'Abou-Zénima et la création d'un grand port pétrolier à Botran.
L'Egypte, qui a vu percer le canal de Suez, inonder le désert avec le haut barrage d'Assouan, ne sait plus très bien où finit la réalité et où débute le rêve.
L'Egypte et le problème de l'énergie
Nasser l'avait promis. Il a tenu parole. Le désert a engendré la mer. La construction du haut barrage d'Assouan modifie, à présent, le cours naturel du Nil. Le désert de Nubie est noyé sous les eaux d'une immense retenue artificielle. Il a même fallu découper la falaise d'Abou-Simbel pour sauver les chefs-d'œuvre des architectes de Ramsès II menacés parla montée des eaux. 1 305 blocs dont certains atteignaient 30 tonnes, un remontage pierre à pierre des temples et des colosses hauts de 70 mètres : il a fallu dix aimées de travaux et le concours des spécialistes et des dollars de l'Unesco pour en venir à bout On a même dû élever une digue pour contenir la montée des eaux du fleuve, redécouper l'île d'Agilkia aux dimensions de celle de Philae et transporter morceau par morceau les monuments élevés à la gloire d'Osiris. Grâce à cet effort, vingt-quatre temples de la Nubie ont été déplacés. C'était le prix à payer pour créer le haut barrage. Pour construire ce barrage sur le Nil, les Égyptiens contemporains se sont montrés les dignes héritiers des bâtisseurs de pyramides. Le barrage lui-même est une réalisation colossale. Saad al-'Alï, pour lui donner son nom local, est un véritable monstre de granité : 43 millions de mètres cubes, 980 mètres d'épaisseur à la base et 111 mètres de hauteur; bref dix-sept fois le volume de la grande pyramide de Kheops.
Derrière lui, le lac Nasser, l'une des plus grandes retenues artificielles du monde, a une capacité de 130 kilomètres cubes. Si la construction de l'ouvrage nécessita la transplantation de 60 000 personnes — 15 000 ont été réinstallées au Soudan, les autres dans une trentaine de villages reconstitués près de Kom-Ombo — la surface cultivable a été augmentée de 200 000 hectares. Car ce réservoir géant qui stocke les eaux du Nil peut à volonté irriguer des zones hier désertiques.
Cette réalisation colossale qui s'inscrit à juste titre parmi les fiertés nationales du pays joue un rôle politique. Ce barrage-réservoir a ouvert à l'Egypte le moyen de sa politique agricole, a facilité sa réforme agraire et attaché les masses rurales au régime du raïs. Même si des voix s'élèvent parmi les riverains du Nil.
Car, en rompant le cours du fleuve, le barrage a interrompu le jeu des crues et des décrues qui rythmait depuis toujours la vie égyptienne. Il a anéanti la fertilisation naturelle des sols par les limons charriés par les eaux. Il a conduit à modifier les méthodes de culture et troublé l'équilibre biologique. Mais il a permis à l'Egypte d'assurer son indépendance énergétique. À lui seul, le haut barrage doit produire à son maximum 10 TWh alors que la production totale d'électricité est de 18 TWh. Connectée avec le Delta, la centrale d'Assouan alimente en outre une usine d'engrais implantée dans cette zone d'aménagement, ainsi que la grosse usine d'aluminium de Nag-Hamadi. Les nouvelles tranches de production de la centrale sont en partie destinées à électrifier la zone d'aménagement projetée dans la Nouvelle Vallée, à l'ouest du Nil.
La production du haut barrage s'ajoute à celle des anciennes centrales électriques de la vallée du Nil. En outre l'effort de production énergétique a conduit l'Egypte à diversifier ses ressources en électricité. Quatre centrales thermiques fonctionnant au fuel ont été concentrées autour du Caire, cinq près d'Alexandrie et trois le long du canal.
L'électricité d'origine nucléaire a suscité la construction d'une centrale à Sidi-Kreir, dans le Delta, où l'Egypte projette l'installation d'une autre centrale à el-Daba. Une troisième est projetée à Hourghada, sur la mer Rouge.
La découverte de pétrole dans le Sinaï et dans le désert Libyque dans les années 1970 a définitivement assis la position énergétique du pays. Le pétrole national satisfait une part importante de la consommation égyptienne. Il est aussi devenu le premier poste d'exportation, dépassant même le coton.
Par ailleurs, le gisement de gaz naturel atteint par des forages dans la dépression de Kattara expédie son méthane par gazoduc vers les usines de la banlieue cairote.
Consciente de la nécessité où elle se trouve de développer ses ressources en hydrocarbures, l'Egypte multiplie les permis de recherche. Elle envisage la construction, sur la rive orientale de la mer Rouge, d'un vaste complexe à el-Tûr, la cité-champignon du pétrole, ainsi que autour d'el-Arich. Près de cette dernière ville sera mise en service une centrale thermique alimentée en eau par des retenues recueillant les précipitations saisonnières du mont Sinaï.
D'ores et déjà, l'Egypte est l'un des pays les mieux lotis du continent africain sur le plan énergétique.