Si l'on admet que d'une part le vieux pont de Mostar est un chef d'œuvre d'architecture, d'autre part qu'il a résisté à 450 ans de conflits et d'intempéries, on imagine l'importance de la raison pour laquelle il fut détruit ce 9 novembre 1993, en pleine guerre des Balkans. Alors cette raison, qu'elle est-elle ?
Stari Most
Les raisons de la destruction
La situation avant la guerre
Pour répondre à cette question il faut se situer dans l'histoire et la géographie locale. Fin 1993, la ville de Mostar, au Sud de la Bosnie-Herzégovine, est assiégée par les forces croates. La géographie de la ville est importante. Elle est traversée par la Neretva, la rivière locale, un grand torrent froid descendant des montagnes environnantes. Le lit de la rivière est plutôt encaissé, la rivière est une vraie barrière naturelle. La ville s'est construite autour d'elle, le centre historique s'est développé sur la rive Ouest alors que la rive Est abrite les habitats plus récents.
En 1991 la population était d'à peu près 126000 habitants, répartie en 3 groupes ethniques : Les Croates et les Bosniaques représentent chacun un tiers de la population, les Serbes un cinquième, le reste étant des minorités. Les Bosniaques occupaient majoritairement le centre historique, les Croates étant plutôt dans les quartiers Ouest. Mais cette séparation géographique représente mal la situation culturelle ethnique d'une ville qui se voulait cosmopolite : Les communautés étaient largement mixées, et les déplacements fréquents d'une communauté à l'autre. La ville était un modèle de relations apaisées, autant religieuses et culturelles. Dans cet esprit, le vieux pont de Mostar était un lien entre les communautés, un lien important autant symbolique que pratique.
Les causes : Stratégique et symbolique
Lorsque, le 9 novembre 1993, l'artillerie croate fit abattre quelques dizaines d'obus sur le pont, engendrant son effondrement dans la Neretva, les forces armées avaient deux objectifs. Le premier, évident, était d'empêcher les Bosniaques de recevoir les armes et la nourriture nécessaire à la tenue d'un siège provoqué par les Croates sur le centre historique. La route coupée, ils furent affaiblis. C'était un objectif militaire.
La deuxième raison est symbolique, et il ne faut pas la négliger. En coupant la voie de communication entre le centre ville et les quartiers Ouest les Croates empêchèrent physiquement le brassage de la population, obligeant chaque communauté à vivre sur ses terres. Cette volonté de ne plus mixer la population locale a été vue par les Bosniaques comme un véritable affront, un refus de poursuivre dans l'ouverture d'esprit qui s'était imposée depuis des siècles. En séparant les communautés les Croates avaient aussi un objectif plus vaste, celui de les isoler d'un point de vue plus général, de les distinguer aux yeux du monde. Enfouie sous des années de dictature, l'esprit revendicatif des Croates s'est réveillée peu à peu. Des actions comme la destruction du pont de Mostar faisaient partie de cette stratégie globale.
Et il ne faut surtout pas croire que cette symbolique est peu prégnante : Les habitants de Mostar ont réellement été meurtris par la chute du pont qui les obligeaient à se séparer, de fait, des autres communautés.
La chute du pont : 9 novembre 1993
Il n'y a rien de spécial à dire au sujet de la destruction du pont, militairement parlant. Elle a commencé le 8 novembre 1993 au soir et s'est terminé le 9 au matin, et a consisté en une pluie d'obus d'artillerie. Peu à peu le pont s'est écroulé dans la Neretva, la rivière locale, et se fut tout. La population n'a pu que constater les dégâts, au petit matin.
Les effets de la destruction de nos jours
La destruction du pont de Mostar n'a pas eu que des conséquences immédiates, de nos jours encore ses effets se font sentir. En effet, une fois la guerre terminée la population de Mostar a radicalement changé. Les croates ont quitté massivement la ville, et les Serbes les ont suivi dans une moindre mesure. Les anciens quartiers aux populations distinctes existent toujours, mais leurs identités sont moindres. Mais surtout, il y a beaucoup moins de mixité dans la ville, les populations restent en grande partie dans leurs quartiers, alors qu'avant la guerre ils n'hésitaient pas à se déplacer. Le pont, bien que reconstruit, est devenu une frontière invisible entre les Bosniaques, vivant à l'Ouest, et les autres communautés, à l'Est. Il est peu emprunté, quotidiennement, par la population locale, marquant ainsi peu de volonté d'aller à la rencontre des autres ethnies. En ça, le coup tenté par les Croates fin 1993 a parfaitement marché : Les ethnies sont séparées, plus isolées qu'avant, et il est donc plus facile de les distinguer les unes des autres, faisant tomber dans l'oubli les anciens principes fédérateurs yougoslaves.
L'autre conséquence, c'est que le pont de Mostar est devenu un symbole international très connu. Il représente la réconciliation entre les peuples et est mis en avant pour montrer les possibilités de rapprochement de deux groupes opposés, quel que soit le lieu et l'époque. Mais c'est un symbole forcé puisque sur place, la réalité est plutôt inverse.