Le pont de Mostar est relativement bien connu en Europe, et même au-delà des frontières de ce continent il n'est pas rare de rencontrer des personnes qui savent ce qu'il est. Et pourtant, bien que joli, architecturalement parlant, il n'est pas plus impressionnant que d'autres ponts, ailleurs dans le monde. Alors pourquoi le Stari Most comme on l'appelle sur place est-il si connu ?
Stari Most
Symbole de l'amitié entre les peuples
En fait, ce pont est le symbole de l'amitié entre les peuples, tout simplement. Et il faut remonter à la fin des années 1980 pour le comprendre.
A cette époque les pays des Balkans n'existaient pas encore : Serbie, Croatie, Bosnie, Slovénie, Monténégro, Macédoine, Kosovo. Tout ces pays n'en formaient qu'un; la Yougoslavie, tenue d'une main de fer par le dictateur Tito, et membre du bloc communiste quoi qu’il s'en soit distancé. Lors de la chute de l'URSS en 1991 les pays du bloc de l'Est ont perdu leurs régimes politiques au profit d'une période de transition, avant d'arriver sur un principe démocratique. Chaque pays est franchi ces étapes à son rythme, mais la Yougoslavie fut un cas particulier puisque les différentes communautés qui y vivaient avaient été très fortement mélangées, souvent de force. Chacune d'elle a revendiqué son indépendance, mais il n'y avait pas de frontières indiscutables. D'autant plus que les Serbes disposaient d'une très forte communauté en Bosnie et souhaitait regrouper tous les Serbes dans un grand pays, y compris ceux du Kosovo, de Macédoine et de Vovoïdine. A partir de 1991, une guerre se déclencha entre eux et les Bosniaques, puis entre ces derniers et les Croates. L'objectif était, à chaque fois, de contester des territoires au nom du fait qu'ils étaient occupés par une communauté particulière, même si ce territoire est historiquement la propriété de son voisin.
Dans cette poudrière, il y avait un cas particulier : la ville de Mostar.
Située au Sud de la Bosnie-Herzégovine, Mostar est centré autour d'un pont du XVe siècle, seule réelle raison de la présence d'une ville dans cette vallée. Son quartier historique est occupé par la communauté bosniaque, musulmane, à l'Est de la ville. A l'Ouest vivaient les Croates et les Serbes. Mais cette séparation physique par quartier n'était que fictive, dans les mentalités : Il régnait à Mostar une grande tolérance à l'égard de ses voisins, et la mixité était naturelle. Toutes les semaines de nombreux mariages mixtes étaient célébrés. Le pont de Mostar, d'origine ottomane (donc musulmane) servait de lien entre toutes ces communautés, et personnes, quelle que soit son appartenance ethnique ou sa religion, n'aurait voulu détruite ce lien à la fois physique et affectif qui définissait la ville. Mostar, c'était la mixité, c'était son pont, les deux étaient liés.
Quand la guerre éclata et que les Croates le détruisirent, le 9 novembre 1993, c'était donc un mode de vie qu'ils détruisirent, un état d'esprit, et pas seulement une route alimentant en arme et nourriture leurs belligérants.
C'est pour cette raison que le pont de Mostar est si connu : C'était le symbole de l'amitié entre les peuples, tout simplement. En le détruisant les Croates obligeaient les communautés à se séparer, à nier leurs mixités avec leurs voisins. Bref, ils renforçaient leur sentiment national.
Symbole de la réconciliation
Une fois détruit la ville de Mostar ne fut plus jamais la même. Sans cette possibilité de communiquer, et alors en pleine guerre, les communautés telles qu'elles vivaient se sont séparées. Les habitants furent largement déplacés et les nouvelles générations grandirent à Mostar sans en connaître le passé. Mais entre 2001 et 2004 le pont fut reconstruit, à l'initiative de la communauté européenne. Et ce fut l'occasion de tenter de recréer la mixité perdue. Le pont servit alors de chantier commun pour l'apprentissage d'un métier par les jeunes de la ville. Il faut dire que le taux de chômage était très important à l'époque (et il l'y est toujours), et la reconstruction du pont était l'occasion d'avoir un métier, au tout au moins un emploi pendant quelques mois, voire quelques années. Les ouvriers furent choisis essentiellement parmi la population de toutes les communautés.
Le pont de Mostar fut alors le symbole de la réconciliation. On vit travailler main dans la main serbes, croates et bosniaques.
Symbole de la Bosnie-Herzégovine
Le pont de Mostar est aussi le seul monument historique connu de Bosnie-Herzégovine, en toute logique il est donc le symbole du pays lorsqu'on doit présenter ces derniers à travers les monuments du monde. Par exemple, la tour Eiffel représente la France, la statue de la liberté les Etats-Unis, le Colisée ou la tour de Pise l'Italie, etc. La Bosnie-Herzégovine, c'est le pont de Mostar car aucun autre monument du pays ne lui rivalise du point de vue notoriété internationale.
Symbole du patrimoine en temps de guerre
Il a eu aussi une autre symbolique : Celle de la destruction d'un élément du patrimoine mondial, vu par les autres peuples comme une atteinte à l'humanité. En effet, la destruction d'un élément du patrimoine mondial, parfois inscrit auprès de l'UNESCO, fait toujours polémique.
Hélas ce type de symbole est relativement fréquent : Les Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan peuvent en témoigner...