"Lorsque la révolution a éclaté, nous avons vu (...) l'âme de l'Egypte antique s'incarner dans l'Égyptien moderne. (...) Celui-ci s'est révolté pour la dignité de l'Egypte et a proclamé, avec le ton de l'homme sûr de lui et de ce dont il est capable, que l'indépendance de l'Egypte devait être un droit reconnu. (...) À quelles sources le peuple égyptien a-t-il puisé cette confiance stupéfiante et cette assurance efficace et triomphante ? Il ne fait pas de doute qu'il les a puisées dans les profondeurs de son âme (...) car, jadis, quand l'Égyptien se lançait à la conquête de la gloire, l'Histoire lui répondait."
Ainsi s'exprimait dans les années 30 de ce siècle Makram Ebeid, dirigeant du Wafd et, à ce titre, l'un des artisans de la longue bataille que dut mener l'Egypte pour se dégager totalement de la tutelle que la Grande-Bretagne exerçait sur ses affaires depuis 1882.
Le Nouvel Empire
Vieille de 5 000 ans, l'histoire égyptienne a connu bien des vicissitudes, de longues éclipses au cours desquelles le pays fut soumis à l'écrasante domination de l'étranger, perse, grec, romain, avant de se fondre dans le monde arabe auquel elle appartient désormais. Mais elle connut aussi des heures de gloire. Sa civilisation, une des plus anciennes et des plus raffinées, rayonna durant l'Antiquité sur le monde méditerranéen. C'est sous le Nouvel Empire (de 1600 à 1085), pendant les XVIIIe et XIXe dynasties, que l'Egypte pharaonique atteignit son maximum de puissance et de rayonnement et étendit son empire sur tout le Proche-Orient.
L'objectif était double : il fallait assurer d'une part la sécurité de l'Egypte vis-à-vis de l'Asie Mineure en contrôlant les voies d'invasion, d'autre part l'approvisionnement du pays en denrées et matériaux indispensables (tels que le bois du Liban).
Déjà, sous le Moyen Empire, les pharaons entretenaient avec les princes de Palestine et de Syrie des relations qui étaient celles d'un puissant royaume avec de petites principautés. Les campagnes des premiers rois de la XVIIIe dynastie asservirent la Nubie jusqu'à la 4e cataracte du Nil, à la lisière du Soudan, accroissant considérablement la surface cultivable de l'Egypte, et Thoutmosis Ier vainquit le roi de Mitanni dans la région de Karkemish.
Mais le plus grand conquérant de l'époque fut Thoutmosis III (1484-1450). Le pharaon était le général en chef d'une puissante armée comportant une infanterie, une charrerie — empruntée à l'Asie — et une marine de guerre. De l'an 23 à l'an 42 de son règne, celui que ses sujets surnommaient «la comète tournoyante» mena dix-sept expéditions en Asie occidentale contre une coalition de petits États révoltés par la domination égyptienne, rassemblés autour du prince de Qadesh, et étendit l'empire égyptien de Napata (Nubie) au sud, jusqu’à l'Euphrate au nord (« cette eau qui rebrousse chemin et descend en remontant» comme l'appelaient drôlement les Égyptiens, étonnés par ce fleuve coulant, à l'inverse du Nil, du nord vers le sud), des oasis libyques, à l'ouest, au désert de Syrie, à l'est.
Les pharaons établirent avec les États soumis — ou leurs voisins intimidés — des relations pacifiques, combinant traités politiques, alliances matrimoniales et accords commerciaux, dont les tablettes retrouvées à Amama — l'un des premiers courriers diplomatiques de l'Histoire — nous restituent l'atmosphère. Ils n'imposèrent pas aux pays conquis une prise de possession réelle. Ceux-ci furent soumis à un régime de «protectorat» très libéral. Ils conservaient un gouvernement indigène, mais l'Egypte y maintenait des garnisons dans les places stratégiques. Des administrateurs étaient chargés de percevoir, pour son compte, un tribut annuel, proportionné aux ressources locales, oui s'ajoutait aux cadeaux offerts par les princes étrangers au pharaon en signe d'allégeance. La Cour égyptienne vivait dans un luxe inouï. Thèbes était la principale capitale de l'Orient et sa culture rayonnait. Les jeunes princes étrangers y étaient amenés afin d'être éduqués à la mode égyptienne. Lorsqu'ils retournaient chez eux pour succéder à leurs pères, ils devenaient de fidèles vassaux de l'Egypte. Les pharaons furent tentés d'imposer, comme facteur d'union politique, une divinité d'Empire. Le culte du disque solaire était très répandu, notamment en Syrie sous le nom d'Adon («Maître»). C'est un des sens de la révolution religieuse d'Aménophis IV-Akhenaton, qui échoua comme l'on sait devant l'hostilité du clergé thébain, ébranlant sérieusement la monarchie pharaonique.
L'Empire s'en trouva considérablement affaibli, d'autant qu'une puissance nouvelle, le royaume hittite, avait entre-temps détruit le Mitanni, allié de l'Egypte, et coordonnait en Syrie l'insurrection de tous les États tentés par la dissidence.
La restauration de l'autorité
La XIXe dynastie, d'où sortira la célèbre lignée des Ramsès, marqua la restauration de la royauté pharaonique, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Egypte. Seti Ier (1308-1298) reprit la tradition de Thoutmosis III et réussit à rétablir la domination égyptienne sur la plus grande partie de la Syrie. Ramsès II, son fils, au cours d'un long règne de 67 ans (1301-1235), après avoir affronté les Hittites à la bataille de Qadesh (1299), restaura la puissance impériale de l'Egypte en Asie, autant par son activité diplomatique que par les armes. La bataille de Qadesh fut suivie du premier traité international dont nous possédons les clauses, conclu entre les Hittites, inquiets des progrès de l'Assyrie, et l'Egypte. Il comportait une alliance défensive et offensive entre les deux pays, une clause de non-agression et un accord d'extradition. Ramsès II scella cette alliance en épousant quelques années plus tard une princesse hittite.
Il put alors consacrer la plus grande partie de son règne à administrer la paix retrouvée. Ce fut un grand bâtisseur. Il créa, au nord-est du Delta, une nouvelle ville, Per-Ramsès, centre géographique et politique de son grand Empire. Des temples magnifiques furent édifiés dans toute l'Egypte, ornés de bas-reliefs illustrant la gloire de l'Empire, de scènes de bataille dominées par l'image du pharaon debout sur son char et piétinant ses ennemis. Signe hautement symbolique de l'orgueil suscité par ses conquêtes, Ramsès s'y fit représenter aux côtés des dieux, et à la même échelle qu'eux. Sa gloire fut proclamée dans des poèmes épiques, qui faisaient parfois peu de cas des prouesses de ses ancêtres. L'un de ces textes figure sur une stèle découverte à Beith Shan : « Lorsqu'il saisit son arc sur son char et qu'il empoigne sa flèche, il est comme une étoile au cœur des multitudes, homme fort qui fend les ennemis tombés aux marches de la terce après qu'eurent été abattus leurs chefs et leurs armées (...). Personne, jamais, n'a accompli ce qu'il a accompli contre les pays étrangers.» De plus, comme il fit graver son cartouche non seulement sur les monuments qu'il fit lui-même édifier, mais aussi sur ceux de ses prédécesseurs, on crut longtemps qu'il avait fait toutes les conquêtes commémorées sur les murs de ceux-ci. Aussi sa gloire posthume résulte-t-elle autant d'une habile propagande que d'une authentique œuvre militaire.
Sous les règnes de ses successeurs, l'Asie se détacha petit à petit de l'Empire. L'autorité pharaonique déclinant rapidement, l'Egypte devint elle-même la proie de tribus libyennes et syriennes, puis des Ethiopiens et des Assyriens, des Perses et enfin des Grecs au IIIe siècle avant Jésus-Christ.